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naires convenus d’avance. Naturellement on ne pouvait espérer que l’Allemagne se prêtât à ces combinaisons sans y trouver un avantage. M. de Bismarck est un grand Prussien qui sait calculer ce que peut rapporter une victoire, et qui ne fait rien pour rien. Il a fallu payer pour avoir ce qu’on voulait, voilà toute la question. Seulement cette fois c’est à des provinces hier encore françaises, c’est à l’Alsace et à la Lorraine que devaient profiter les concessions réclamées par l’Allemagne. En un mot, toute l’économie du projet récemment présenté à l’assemblée consiste en ceci : d’un côté, les marchandises de l’Alsace entreront par notre frontière franches de tout droit jusqu’au 31 décembre 1871, avec un quart de droit, jusqu’au 1er juillet de l’année prochaine, avec un demi-droit jusqu’à la fin de 1872, et d’un autre côté, en échange de ces concessions commerciales, moyennant aussi une anticipation de paiement du quatrième demi-milliard en papier accepté par les principales maisons de l’Europe, nous retrouvons six de nos départemens du nord et de l’est, qui n’auraient été libres qu’au mois de mai. Le gouvernement n’a point reculé devant la responsabilité de cette négociation ; il a fait en définitive tout ce qu’on pouvait faire, et c’est bien quelque chose que, des trente-six départemens où les armées allemandes campaient il y a six mois, il n’y en ait plus bientôt que six qui restent soumis à l’occupation étrangère, qui ne retrouveront malheureusement leur liberté que lorsque nous serons en mesure de payer les trois derniers milliards de la colossale indemnité prélevée sur la fortune de la France.

Rien n’est assurément plus facile et plus commode que de critiquer ces opérations, aussi complexes que laborieuses, par lesquelles un gouvernement est réduit à disputer pied à pied les fragmens de territoire que la plus funeste guerre a livrés à un implacable ennemi. C’est fort aisé de dire qu’il eût été possible de faire mieux, que l’Allemagne, menacée dans son marché industriel par l’invasion des produits de l’Alsace et intéressée à détourner ce courant vers la France, aurait dû nous accorder davantage, que l’industrie française va souffrir de la concurrence alsacienne, de la facilité que trouvera la production allemande ou suisse à se glisser par cette issue, — qu’on aurait pu, dans tous les cas, arriver au même but, l’évacuation du territoire, avec mains d’inconvéniens, sans se compromettre par des concessions commerciales, en faisant dès aujourd’hui l’avance du quatrième demi-milliard. Tout cela a été dit et tout cela a été victorieusement réfuté par M. Thiers avec cette expérience des affaires qui est sa grande supériorité, avec cette netteté d’éloquence qui éclaire les questions les plus difficiles, qui sait dissiper toutes les fantasmagories en ramenant les choses à la vérité simple et pratique.

Au fond, de quoi se plaint-on ? Il aurait mieux valu tout obtenir et ne rien accorder, c’est évident. Il eût bien mieux valu aussi que la guerre ne nous enlevât pas des provinces et ne nous laissât pas accablés sous le poids d’une indemnité de 5 milliards, — que nous n’eussions pas une