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supériorité de leur race par l’usage qu’ils ont de vendre toutes leurs esclaves laides. En général la sélection sexuelle ne joue plus dans l’espèce humaine un rôle prépondérant. Chez les sauvages, les effets en sont paralysés par le relâchement extraordinaire des mœurs et par l’habitude très répandue de l’infanticide, qui est l’une des causes de la disparition si rapide des races indigènes en Amérique et en Australie. Dans les îles de la Polynésie, on a vu des femmes sacrifier successivement quatre, cinq et jusqu’à dix enfans ; Ellis dit qu’il n’en a pas trouvé une seule qui n’eût tué au moins un enfant. Dans un village sur la frontière orientale de l’Inde, le colonel Macculloch n’a pas rencontré un seul enfant du sexe féminin. On voit que même chez les hommes à l’état sauvage bien des causes concourent aujourd’hui à rendre impuissant l’effet de la sélection naturelle, dont le rôle, si nous en croyons M. Darwin, a été autrefois capital. Dans les sociétés civilisées, l’influence de cet agent est neutralisée par la manière dont se font les mariages : dans la grande majorité des cas, ce sont des considérations de rang, de fortune, de convenances de tout genre, qui déterminent le choix des deux époux ; les infériorités ne sont malheureusement pas un vice rédhibitoire.

Si nous faisons abstraction de l’homme, chez lequel M. Darwin reconnaît lui-même qu’il est fort difficile de constater les effets de la sélection sexuelle, l’existence de cette puissante cause de variation paraît prouvée pour les animaux en général. En l’admettant comme une vérité désormais acquise, on se trouve en quelque sorte obligé de reconnaître que le système cérébral, comme il dirige la plupart des fonctions biologiques, a réglé aussi d’une manière indirecte le développement des propriétés physiques et des facultés mentales, puisque le sentiment seul détermine les préférences des femelles et par suite la variation par sélection sexuelle. C’est encore dans ce sens qu’il sera permis de dire : Mens agitat molem.

On peut enfin tirer de ces recherches un enseignement. Avant d’accoupler nos chevaux, nos chiens, notre bétail, nous nous inquiétons de l’arbre généalogique des reproducteurs destinés à faire race. Pour nos mariages, nous ne connaissons pas de ces scrupules. Tantôt nous sommes dominés par les mêmes motifs auxquels obéissent les animaux inférieurs, avec cette différence peut-être que nous sommes sensibles aux qualités morales ; tantôt nous ne considérons que les avantages extérieurs qui s’attachent à certaines unions. Il y aurait cependant beaucoup à faire pour l’amélioration des races humaines par une application raisonnée du principe de la sélection. Si les lois fatales de l’hérédité étaient mieux étudiées et mieux connues, on comprendrait combien il importe, pour arrêter l’abâtardissement des nations, d’empêcher les infirmes et les idiots de faire souche. Il est triste de voir quels obstacles rencontrent dans le sentiment public des enquêtes ayant pour but de