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nos regards et qui se termine aux ascidiens. Ce sont des mollusques hermaphrodites ayant l’apparence d’un simple sac gluant et coriace ; leurs larves ressemblent aux têtards ; d’après M. Kovalevsky, elles ont quelques rapports avec les vertébrés par leur mode de développement, par la position du système nerveux. Les têtards mythologiques que M. Darwin regarde comme le prototype des animaux ont pu se diviser en deux séries divergentes dont l’une s’est dégradée en aboutissant à nos ascidiacés, tandis que l’autre s’est élevée par une série de variations jusqu’aux vertébrés que nous connaissons.

Une des grandes difficultés que rencontre cette généalogie dès les premiers pas que l’on fait en arrière, c’est le développement intellectuel et moral qui semble être la prérogative de l’espèce humaine. M. Darwin s’attache à démontrer qu’il n’existe entre l’homme et les animaux que des différences de quantité, que leurs facultés mentales sont essentiellement de même nature. À ses yeux, la distance est plus grande d’une lamproie au singe le plus élevé qu’elle ne l’est de celui-ci à l’homme ; et même, pour arriver du dernier des sauvages d’Australie à un Newton ou un Shakspeare, quel chemin ne faut-il pas faire ! La curiosité, l’attention, la mémoire, l’instinct d’imitation, sont quelquefois développés chez les animaux supérieurs à un degré extraordinaire, et une foule de faits qu’on observe tous les jours prouvent que l’imagination joue un rôle dans la vie des chiens, des chats, des chevaux, des oiseaux, qui nous entourent. Il est même impossible de dénier entièrement aux animaux la faculté du raisonnement. M. Darwin cite l’exemple des chiens du docteur Hayes, lesquels, attelés aux traîneaux qui franchissaient les champs de glace polaires, s’écartaient prudemment les uns des autres lorsque la glace devenait mince, afin de mieux répartir leur poids. Il cite aussi les singes, qui apprennent tout seuls comment il faut casser un œuf sans en répandre le contenu, qui, ayant trouvé une fois une guêpe dans un petit sac de papier, n’ouvrent plus les cornets qu’on leur offre qu’après les avoir portés à l’oreille, puis ce chien qui, ne pouvant rapporter à la fois une perdrix vivante et une autre qui est morte réfléchit d’abord un moment et se décide ensuite à tuer la proie vivante pour l’emporter avec l’autre. M. Darwin s’efforce encore de battre en brèche les argumens de ceux qui prétendent que l’homme seul est capable de progrès, que seul il emploie des outils, asservit d’autres animaux, a conscience de lui-même, possède la faculté d’abstraction, le sentiment du beau, et toutes les autres distinctions dont on veut faire son apanage exclusif. Il n’est pas douteux que les animaux ne puissent se perfectionner dans la société de l’homme. On voit les singes se servir de pierres et de bâtons pour casser des noix, pour ouvrir une caisse, pour se défendre contre une agression. Au jardin zoologique de Londres, un singe dont les dents étaient faibles ouvrait les noisettes avec