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gorille se termine par un pied ; c’est un pied, à vrai dire, préhensile, mais ce n’est point une main, et le pied de l’orang diffère plus de celui du gorille que le pied du gorille ne diffère de celui de l’homme. Les différences qu’on remarque entre la main du gorille et la main humaine ne reposent, suivant M. Huxley, que sur un défaut de développement qui a entraîné l’atrophie d’un muscle ; on a vu des mains humaines réduites à un état tout semblable. Somme toute, au point de vue anatomique, de l’homme au singe la distance est infiniment moindre que du singe à n’importe quel autre mammifère ; elle est presque nulle, si l’on compare l’évolution embryonnaire des deux espèces. À ces considérations vient s’ajouter celle des organes rudimentaires et des retours par atavisme qui trahissent encore accidentellement notre origine. M. Darwin cherche à former un corps de preuves en notant minutieusement tous les indices suspects ; il n’a garde d’oublier le pli sous la paupière, qui est comme un rudiment de la membrane clignotante des oiseaux de nuit, et il est tout heureux d’apprendre d’un sculpteur que le bout de l’oreille du singe perce encore chez l’homme sous la forme d’une petite saillie qui existe sur le bord intérieur du pavillon. En réunissant toutes les indications que fournit l’anatomie comparée, M. Darwin se croit donc forcé d’admettre pour l’homme l’humble origine qu’il nous coûte tant d’avouer. « Il n’est pas croyable, dit-il, que tous ces faits puissent mentir. Celui qui ne se contente pas d’envisager les phénomènes isolés, comme le font les sauvages, ne peut plus admettre que l’homme soit l’œuvre d’une création indépendante. »

Les différences énormes que l’on remarque dans la conformation extérieure aussi bien que dans les facultés mentales des individus de l’espèce humaine se conservent par hérédité, s’exagèrent encore par la sélection naturelle dans le combat pour l’existence, se déterminent quelquefois par la sélection sexuelle. Ce qui se passe encore aujourd’hui paraît à M. Darwin comme un pâle reflet de l’action lente, mais énergique et profonde, que la variation progressive a dû exercer dans le cours des siècles, et par laquelle il veut expliquer la filiation des espèces. C’est là le point faible de sa doctrine : nous avons beau regarder autour de nous, les faits contemporains justifient si peu le rôle attribué à la variation dans un passé presque fabuleux, qu’il faut vraiment se faire violence pour accepter cet enchaînement d’hypothèses comme une induction fondée sur les résultats de l’observation et de l’expérience. Quoi qu’il en soit, M. Darwin a foi dans sa théorie, et, tout bien considéré, il n’hésite pas à déclarer que l’homme descend des singes catarhins de l’ancien continent, qui forment avec les singes platyrhins du Nouveau-Monde les deux grandes divisions de la famille des simiens. Cette filiation une fois admise, il n’y a plus de raison pour ne pas remonter jusqu’au bout cette perspective indéfinie de métamorphoses qui s’ouvre à