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protesta contre toute intention détournée, déclara sa constante adhésion à la politique de résistance, témoigna son regret d’avoir paru manquer d’égards envers ses collègues ; mais il persista dans son dessein comme dans son opinion, et donna sa démission, devenue indispensable pour lui-même comme pour le cabinet. M. d’Argout fut immédiatement nommé à sa place ; mais la question ne devait pas en demeurer là : la réduction de la rente avait de chauds partisans dans la chambre des députés, au sein même de la majorité qui soutenait le cabinet. Repoussée à Paris, où les rentiers abondaient, cette économie était approuvée et désirée par beaucoup de députés des départemens, où la rente était alors bien moins répandue qu’elle ne l’a été depuis ; c’était l’un de ces déplorables conflits plus ou moins avoués entre Paris et les provinces qui ont plus d’une fois embarrassé et compromis la bonne politique. Interpellé par un membre de la majorité sur les intentions du ministère dans cette circonstance, le duc de Broglie, après avoir parlé de M. Humann dans les termes les plus amicaux et les plus honorables, répondit : « Quant au fond même de la question, je n’entends pas la discuter en ce moment ; ce n’est pas incidemment, par voie d’interpellation, que de pareilles questions peuvent être portées à cette tribune ; elles n’y peuvent être introduites que par une proposition venue du gouvernement lui-même, ou qui prenne naissance dans le sein de la chambre. La proposition royale, le conseil est unanimement d’avis que cette année elle ne doit pas être faite, et que pour une époque ultérieure on ne peut prendre aucun engagement. Si la proposition naissait dans la chambre, le conseil est unanimement d’avis qu’il doit la repousser. »

Quelque explicite que fût ce langage, l’auteur de l’interpellation ne s’en contenta point : « J’insiste, dit-il, et je demande si la mesure est équitable et avantageuse, et par quels motifs elle est inopportune, si elle l’est. » Le duc de Broglie répondit : « L’interpellation porte sur un fait. On nous demande s’il est dans l’intention du gouvernement de proposer la mesure ; je réponds : non ! Est-ce clair ? Quant aux motifs, j’ai déjà eu l’honneur de dire à la chambre que c’était discuter le fond même de la question. Si une proposition naît dans le sein de la chambre, si elle subit les épreuves qu’elle est destinée à subir, si elle triomphe de ces épreuves, nous répondrons sur le fond de la question quand elle sera engagée. Quant à présent, elle ne l’est pas. »

C’était là une conduite parfaitement parlementaire et sensée. Pour le présent, le cabinet se déclarait opposé à la proposition, — pour l’avenir, sur le fond même et les principes de la question, il refusait de s’engager dans aucun sens, et réservait sa liberté pour