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contenter de défenses vaines et d’opposer aux assaillans des remparts solides. Le duc de Broglie se fit grand honneur, le 24 août 1835, en défendant, dans la chambre des députés, les lois de septembre. Il porta dans ce débat une franchise, une fermeté, une lucidité, une élévation d’idées et de langage qui firent sur la chambre une impression profonde. Il obtint dans cette circonstance le plus honnête et le plus utile succès : il donna aux partisans de la politique de résistance la satisfaction de prouver avec éclat qu’ils avaient raison, et il les affermit dans leur conviction en les laissant et en laissant ses adversaires bien certains qu’il était lui-même profondément convaincu. En dépit des mauvaises velléités de la nature humaine, les hommes se plaisent à estimer en admirant, et les partis politiques ne sont jamais plus animés et plus fidèles que lorsqu’ils se sentent honorés par le caractère et le talent de leurs chefs.

Après la promulgation des lois de septembre et jusqu’à la fin de l’année 1835, la situation du cabinet fut forte et tranquille ; aucun grand événement ne vint nous troubler, aucun dissentiment intérieur ne nous embarrassait dans le travail régulier du gouvernement. La session s’ouvrit le 29 décembre sous des auspices favorables : aucun trouble grave et prochain ne menaçait le pays, aucune question vitale ne pesait sur le cabinet ; la confiance renaissait, les libertés publiques se déployaient au sein de l’ordre, que l’on commençait à croire effectivement rétabli. Nous étions loin de prévoir l’incident, parti de notre propre sein, qui allait jeter le gouvernement parlementaire dans une nouvelle crise et le pays dans de nouvelles anxiétés.

Le 14 janvier 1836, M. Humann proposa le budget de 1837 à la chambre des députés. Dès le début de son discours, il parla de la réduction des rentes, tentée sans succès par M. de Villèle en 1824, comme d’une mesure légitime, nécessaire, opportune, et sinon immédiate, du moins imminente. Elle n’avait point été mise en délibération dans le conseil ; il n’en avait entretenu ni le roi ni les ministres ses collègues. La surprise fut grande, et le procédé n’était pas supportable. M. Humann n’en avait point prévu l’effet. C’était un esprit à la fois obstiné et timide devant la contradiction, persévérant dans ses vues, quoique embarrassé à les produire et à les soutenir. Il regardait la réduction des rentes comme une bonne mesure financière, et qui lui ferait honneur ; il n’avait point formé le propos délibéré d’engager ses collègues à tout risque et sans leur aveu : il avait agi avec une préoccupation un peu égoïste et sournoise, mais sans aucune complaisance pour les intrigues qui s’agitaient autour du cabinet. Quand on s’en expliqua dans le conseil, il