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évêques en délateurs et les confessionnaux en bureaux d’espionnage.

« Cette explication suffit, et toute résistance cessa. Le nœud n’était pas gordien, et pour en venir à bout il n’y fallait pas l’épée d’Alexandre. »

Ainsi, dans son ministère spécial et dans les diverses attributions de ce ministère, le duc de Broglie réussissait à maintenir la dignité du pouvoir et à faire prévaloir la justice, la prudence et la liberté ; mais ce n’était là qu’une faible consolation à la tristesse et au dégoût que lui inspiraient les prétentions, de jour en jour plus ardentes, de l’esprit révolutionnaire, au grand abaissement comme au grand péril de la révolution naguère accomplie. J’emprunte ici quelques lignes de mes Mémoires. « Nous sortîmes des affaires, le duc de Broglie et moi, avec un sentiment de délivrance presque joyeuse dont je garde encore un vif souvenir. Nous échappions au déplaisir de nos vains efforts et à la responsabilité des fautes que nous combattions sans les empêcher. Dans le public de Paris et même au sein des chambres, notre retraite ne surprit point et n’inquiéta pas beaucoup : nous avions plus lutté que réussi, nous nous étions fait quelque honneur en défendant l’ordre et le gouvernement régulier ; mais nous ne l’avions pas défendu avec assez de succès pour être considérés comme ses seuls et nécessaires représentans. On comptait sur nous dans l’avenir ; nous étions dans le présent, même aux yeux d’une partie de nos amis, plus compromettans qu’efficaces[1]. On touchait d’ailleurs à une crise redoutable et redoutée, le procès des ministres de Charles X : de concert avec le roi, le cabinet Laffitte et M. de Lafayette y déployèrent un généreux courage et obtinrent un succès aussi honorable pour eux-mêmes que pour notre temps et notre pays ; mais, ce périlleux défilé passé, la faiblesse du pouvoir, assailli chaque jour par les passions révolutionnaires, essayant de les désavouer par son langage sans oser les réprimer par ses actes, devint de plus en plus insupportable au public même le moins exigeant. Le 14 février 4831, en mémoire de l’assassinat de M. le duc de Berry, les légitimistes firent célébrer, dans l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois, un service funèbre. C’était leur droit et un acte pieux, mais une provocation politique dans l’état des esprits à cette époque. Les passions révolutionnaires y répondirent par l’émeute, la profanation et le pillage. L’église, le presbytère, l’archevêché de Paris, furent envahis et dévastés. Le désordre se prolongea, si brutal et si choquant, que, dans les chambres et dans le public, un cri puissant s’éleva pour en réclamer la répression. Le ministère Laffitte tomba. M. Casimir

  1. Tome II, p. 134.