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ministres. Point de président ; je m’étais expliqué sur ce point. M. de Lafayette fut confirmé dans le poste de commandant général des gardes nationales, — imprudence à peu près inévitable, mais qui fut payée cher. »

Ainsi, dès le lendemain de la révolution de juillet et dans la formation de son premier ministère, le duc de Broglie fit acte à la fois de ferme esprit politique, d’influence et de modestie. Il faisait acte aussi de prévoyance quand il pensait que ce cabinet ne durerait guère. Dès que les difficultés qu’il avait pressenties éclatèrent sans que, de concert avec ses amis, il pût réussir à les surmonter, il n’hésita pas plus à rompre le cabinet qu’il n’avait hésité à le former, et il en sortit avec la même fermeté et le même désintéressement qu’il avait montrés en y entrant. J’ai raconté dans mes Mémoires[1] la lutte qui, à cette époque, commença dans le cabinet comme dans les chambres et dans les rues, entre la politique de résistance et la politique de concession à l’anarchie, — lutte qui aboutit, le 2 novembre 1830, à la retraite du duc de Broglie, du comte Mole, du baron Louis, de MM. Casimir Perier, Dupin et moi, et à la formation d’un nouveau ministère sous la présidence de M. Laffitte. Je n’ai garde de reproduire ici l’histoire de cette crise ; je n’y veux ajouter que quelques faits qui en mettront en pleine lumière le caractère, et aussi celui que, du premier au dernier jour, y déploya le duc de Broglie.

Quand il avait accepté, lors de la formation du premier cabinet, le ministère des cultes et de l’instruction publique avec la présidence du conseil d’état, il savait qu’il aurait à défendre le conseil d’état, l’université et les cultes contre l’invasion ou la tyrannie de l’esprit révolutionnaire. La triple épreuve ne se fit pas attendre. En réorganisant le conseil d’état, on crut que le nouveau gouvernement ne pouvait se dispenser de faire quelque chose pour le plus éminent des écrivains libéraux, Benjamin Constant. « Sa réputation, dit le duc de Broglie, comme publiciste, était grande et méritée ; comme orateur, médiocre ; son caractère était peu considéré ; il ne s’était jamais relevé de son aventure des cent jours ; l’Académie française lui avait obstinément fermé ses portes ; perdu de dettes, épuisé de veilles et de jeu, il n’était guère possible d’en faire un ministre ; le duc d’Orléans ne l’avait point appelé à son conseil intime, et néanmoins toute position de seconde ligne lui paraissait, non sans quelque raison, au-dessous de lui. Je lui proposai la présidence du comité du contentieux du conseil d’état, fort agrandi et chargé, sous le nom de comité de législation, de la préparation des lois. Il refusa d’abord ; mais au bout de deux ou trois

  1. Tome II, p. 40-135.