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quand il lui plaît, comme il lui plaît, uniquement parce que cela lui plaît. Je ne reconnais pas à la majorité plus un d’une nation le droit de se passer ses fantaisies en fait de gouvernement ; je ne reconnais pas ce droit à l’unanimité d’une nation, parce que je ne le reconnais à aucun homme en particulier, parce que les hommes n’ont pas été placés sur cette terre par le Créateur pour se passer leurs fantaisies, mais pour obéir aux lois éternelles de la justice et de la vérité, pour se conduire en êtres moraux et raisonnables, pour tenir leurs engagemens quand ils en ont pris, pour garder leurs sermens quand ils en ont prêté. Les engagemens des peuples envers les gouvernemens ne sont pas moins sacrés pour moi que ceux des gouvernemens envers les peuples, et le régime du bon plaisir ne me paraît ni moins insolent ni moins abject sur la place publique que dans le palais des rois.

« Ces sentimens ont toujours été les miens, et toujours, comme on a pu le voir dans le cours de ma vie publique, je les ai pris pour règle de ma conduite. J’étais trop jeune en 1792 pour déplorer à bon escient la chute de la monarchie et l’avènement de l’anarchie. En 1814, parvenu à l’âge de discrétion, je n’ai point appelé de mes vœux le retour de la maison de Bourbon : quelque aversion que m’inspirât le régime impérial, l’invasion de la France m’était encore plus odieuse ; mais cette invasion, je ne l’imputais point à d’autres que son auteur véritable, et je n’en rendais point responsables les princes dont l’intervention s’est trouvée, après tout, utile au pays. A plus forte raison n’ai-je point trempé dans le crime des cent jours, et j’ai détesté la seconde invasion plus encore, s’il se peut, que la première. La maison de Bourbon se trouvant enfin rétablie, Dieu sait sous quels auspices et à quel prix, ma conduite envers elle a toujours été loyale, j’en suis sûr, et sensée, je l’espère, également éloignée de l’optimisme des royalistes, de profession et du pessimisme de leurs adversaires. J’ai compté tour à tour et même à plusieurs reprises soit dans les rangs de l’opposition, soit dans ceux du ministère ; en opposition, je n’ai rien demandé qui ne me semblât bon en soi et possible au moment donné ; ministériel, je n’ai rien demandé pour moi-même, ni rien reçu à titre de faveur. Jusqu’en 1828, j’étais le seul de la chambre des pairs sur qui la croix de la Légion d’honneur ne fût pas même tombée des nues, c’est-à-dire dans une promotion générale et pêle-mêle. Je me suis toujours tenu à distance et hors de portée de la cour, n’ayant nul goût pour cette saveur d’ancien régime dont toute restauration se trouve nécessairement assaisonnée, et moins encore pour ces appétits de représailles dont toute émigration a peine à se défendre. Je ne me suis pas tenu à moindre distance, malgré mes liaisons politiques et domestiques, de tout complot républicain ou