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l’accès de passion où étaient alors Charles X et le public, Charles X en eût été tout aussi irrité que du paragraphe originel : le public aurait transformé en refus de concours le refus de confiance, et les événemens auraient pris le même cours ; mais dans le paragraphe du projet d’adresse la question était posée d’une façon tellement nette et pressante que, si, après un vif débat entre ce paragraphe et l’amendement de M. de Lorgeril, l’amendement eût été adopté, ce résultat eût été pris de la part de la chambre pour une faiblesse insigne, dans le pays comme une déception irritante, et que Charles X, au lieu d’y voir un avertissement salutaire, y eût peut-être trouvé une espérance pour ses vieilles prétentions de cour et de parti.

Il arrive d’ailleurs, dans la vie des rois et des peuples, un jour où, soit pour les peuples, soit pour les rois, toutes les anciennes erreurs, toutes les fautes passées, que peut-être et par momens on avait pu croire oubliées, se retrouvent, se relèvent, s’accumulent et pèsent de tout leur poids réuni sur la tête et la situation de leurs auteurs. Après son opposition frivole, mais obstinée au grand mouvement national, après ses revers et son émigration, le comte d’Artois avait pu rentrer en France et y redevenir d’abord prince remuant et important, quoique toujours frivole, puis roi, puis même un moment populaire ; la France avait pu, sous le coup de ses fortes épreuves, avoir l’air d’oublier ses préventions, ses antipathies, ses anciennes colères contre ses adversaires de 1789 et contre le comte d’Artois en particulier. Quarante ans après, en 1830, il suffit de quelques actes, de quelques paroles, d’une faute grave, je ne veux pas me servir d’un mot plus dur, pour que tout le passé du comte d’Artois se réveillât avec toutes les préventions, toutes les méfiances, toutes les colères qu’il avait jadis inspirées à la France, et que ce passé revînt décider irrévocablement du sort du malheureux acteur royal rentré en scène. Les peuples subissent comme les rois cette résurrection de leurs fautes arriérées ; la France de 1789 a pu déjà le reconnaître elle-même. J’ai la confiance que, malgré ses égaremens, elle n’a pas mérité et qu’elle ne méritera pas, car l’épreuve dure encore, de succomber définitivement sous le poids de son passé. L’église chrétienne dans ses hymnes sacrées a mieux compris que le monde antique ce déplorable réveil, à un certain jour, de toutes les erreurs et de toutes les fautes des hommes ; à la place de l’implacable destin, elle y a vu l’infaillible justice divine :

Dies iræ, dies illa…
Nihil occultum amplius erit ;
Nihil inultum remanebit :

« Ce jour-là, le jour de la colère,… rien ne sera plus caché ; rien ne demeurera impuni. »