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par le choix des termes et le degré de l’insistance sur le fond même des idées ; c’était un refus de confiance substitué au refus de concours. Dès lors, et par cela seul, le roi ne se trouvant pas mis au pied du mur, n’étant pas réduit à choisir immédiatement entre son ministère et la chambre, la discussion pouvait s’ouvrir ; il se pouvait que le ministère s’efforçât de gagner plus ou moins la confiance de la chambre ; il se pouvait que le tiers-parti, auteur de l’amendement, s’y prêtât plus ou moins, et s’il en était résulté, ce qui n’avait rien non plus d’impossible, des rapprochemens, des transactions, des compromis, si le tiers-parti avait fini par reprendre pied dans le ministère sous la raison Martignac ou toute autre, bref, si l’état de choses antérieur à la crise que nous traversions s’était rétabli en nous offrant, ainsi qu’au roi, l’occasion de revenir sur nos sottises réciproques, nul doute que cela n’eût mieux valu qu’une révolution, même légitime, même glorieuse. La révolution est l’ultima ratio des peuples comme la guerre est l’ultima ratio des rois ; même en ayant bonne cause et bonne chance, on n’y doit recourir qu’à la dernière extrémité.

« Vains regrets toutefois, si regrets il y a ; car, encore un coup, à qui la faute si nous avons recouru à cette extrémité ? A qui la faute si l’amendement Lorgeril a passé presque incognito, sinon à ses patrons, qui l’ont lancé dans la mêlée en enfant perdu et pour l’acquit de leur conscience, sans en prévenir ni le soutenir ? »

Le duc de Broglie a eu raison de se dire à lui-même : « Vains regrets, si regrets il y a ! » Dans l’état des esprits à cette époque, en France et au sein de la chambre, après la proposition, dans le projet d’adresse, du paragraphe préparé par M. Royer-Collard, l’amendement de M. de Lorgeril ne pouvait ni être adopté, ni atteindre son but. Il différait bien plus du paragraphe de l’adresse que ne le pensait le duc de Broglie. En réclamant comme un droit constitutionnel « l’intervention du pays dans la délibération des intérêts publics, » l’adresse reconnaissait en même temps que « cette intervention devait être indirecte ; » mais en fait elle oubliait, elle écartait aussitôt cette seconde maxime constitutionnelle en refusant formellement son concours au ministère dès la première rencontre, avant de l’avoir entendu et d’avoir discuté ses principes et ses actes, sur les seuls pressentimens qu’inspiraient et les alarmes que suscitaient les noms et les antécédens de tels ou tels ministres. A la sommation contenue dans ce refus de concours immédiat et péremptoire, l’amendement Lorgeril substituait la déclaration d’un refus de confiance qui laissait la porte ouverte aux actes de l’avenir ministériel et à l’examen de la chambre. Si cet amendement avait figuré du premier coup dans le projet d’adresse au lieu du paragraphe, qu’elle contenait, j’incline à croire que, dans l’état d’esprit et