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« Certes, dit le duc de Broglie, à ce langage où la fierté le disputait au respect et l’audace à la mesure, il était aisé de voir d’où partait le trait. Personne dans la commission, et moins que personne son rapporteur, ancien censeur impérial, n’était en état ni en position de parler à la royauté de si haut sans l’abaisser ni l’offenser. Il y fallait le patriote de 1789, le royaliste de 1792, le confident de la légitimité en exil, le plébéien de 1814 répondant comte vous-même à l’offre d’un titre de noblesse. La soirée finie, je rentrai chez moi content, mais au fond de l’âme plus pensif et plus perplexe que je n’en convenais avec moi-même.

« Le lendemain, dans la discussion du projet d’adresse, quand on en vint à ce paragraphe, un membre du centre droit[1], homme grave, honnête et sensé, proposa d’y substituer la rédaction suivante :

« — Cependant notre honneur, notre conscience et la fidélité que nous avons jurée, et que nous vous garderons toujours, nous obligent à faire connaître à votre majesté qu’au milieu des sentimens unanimes de respect et d’affection dont votre peuple vous entoure, de vives inquiétudes se sont manifestées à la suite des changemens survenus depuis la dernière session. C’est à la haute sagesse de votre majesté qu’il appartient de les apprécier, et d’y appliquer le remède qu’elle croira convenable. Les prérogatives de la couronne placent dans ses augustes mains les moyens d’assurer cette harmonie constitutionnelle aussi nécessaire à la force du trône qu’au bonheur de la France. »

« Cet amendement, continue le duc de Broglie, tomba, pour ainsi dire, des nues dans le cours de la discussion ; il ne fut soutenu que par un seul député peu connu et sans autorité dans la chambre[2]. On ne saurait donc, en bonne justice, en imputer le peu de succès aux passions des 221 députés qui le rejetèrent, et qui demeurent d’ailleurs, à juste titre, responsables de tout ce qui s’en est suivi ; mais si l’amendement de M. de Lorgeril avait été annoncé en temps utile, s’il avait été préparé par les efforts personnels de tous ceux qui le préféraient au fond de l’âme, s’il avait été présenté en nom collectif par le ministère Martignac, et défendu par M. de Martignac lui-même avec cette adresse merveilleuse et cette éloquence persuasive qui jamais ne lui faisaient défaut, que lui serait-il arrivé ? Et s’il avait été adopté, à mon grand regret, j’en conviens, s’il avait pris dans l’adresse la place du paragraphe Royer-Collard, qu’en serait-il arrivé ?

« L’amendement ne différait, à vrai dire, du paragraphe que

  1. M. de Lorgeril.
  2. M. Pas de Beaulieu.