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de l’écrire sur ses registres, le parlement examinait l’édit ou l’ordonnance qui lui était apporté. C’était un point qui au XIVe et au XVe siècle ne faisait doute pour personne. « Était trouvé bon, dit à ce sujet Estienne Pasquier, que les volontés de nos rois n’obtinssent point lieu d’édits, sinon qu’elles eussent été vérifiées et homologuées au parlement, laquelle chose premièrement se pratiquait sans hypocrisie et dissimulation, déférans nos rois grandement aux délibérations de la cour. » Si le nouvel édit paraissait contraire à la justice ou à l’intérêt public, le parlement présentait au roi ses « remontrances. » Ce mot, auquel ne s’attachait alors aucune idée d’opposition ou de blâme, n’avait d’autre sens que celui d’observations. Le droit de remontrance ne fut jamais sérieusement contesté au parlement ; c’était un droit pour lequel on ne pouvait invoquer aucun texte, par la raison qu’il était aussi vieux que la monarchie ; pour en trouver l’origine, il eût fallu remonter du parlement à la cour du roi et de la cour du roi aux anciens champs de mars. Remontrer était un droit que les vassaux et les sujets avaient toujours eu ; ni Richelieu, ni Louis XIV, n’osèrent l’enlever aux parlemens. Un publiciste dévoué à Richelieu écrivait que « les cours de parlemens avaient le droit et le devoir de faire au roi de sérieuses remontrances[1]. » Louis XIII déclarait formellement que « les magistrats pourraient lui faire des remontrances sur l’exécution des édits[2]. » Colbert lui-même rappela plusieurs fois aux parlemens qu’ils avaient ce droit[3].

On s’est demandé s’ils avaient aussi celui de refuser l’enregistrement. Il en est de cette question comme de toutes celles qui concernent l’ancien régime : elle ne se résout pas par un texte de loi, mais par les faits, et elle peut avoir par conséquent des solutions diverses suivant les temps et les circonstances. Avant François Ier et avant l’établissement de la monarchie absolue, il fut à peu près impossible aux rois d’obliger les magistrats à enregistrer les ordonnances qu’ils n’approuvaient pas. L’opinion du corps judiciaire était alors une puissance à laquelle les rois ne savaient pas encore résister. « Un jour que Louis XI avait usé de menaces envers la cour de parlement, qui refusait de publier quelques édits qui étaient iniques, le président La Vacquerie, accompagné de conseillers en robes rouges, alla faire ses remontrances au roi pour les menaces qu’on faisait à la cour. Le roi, voyant la gravité, le port, la dignité

  1. Le Bret, de la Souveraineté du roi, liv. II, chap. 6.
  2. Édit de février 1641, article 4.
  3. Correspondance administrative de Louis XIV, t. II, p. 192 et 240. Il est vrai qu’une ordonnance de 1673 enjoignit de ne faire de remontrances qu’après l’enregistrement.