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La première fois que furent créés ces offices, la magistrature s’en émut, son premier mouvement fut de protester contre un procédé que sa conscience réprouvait. Les vingt premiers magistrats qui achetèrent leurs charges soulevèrent l’indignation du parlement, ils ne furent admis qu’en dépit des plus énergiques remontrances et sur l’ordre exprès du roi ; mais cette opposition dura peu, la magistrature s’accommoda vite de la vente des fonctions judiciaires, et finit même par s’en trouver si bien qu’elle s’attacha plus à cet usage que les rois eux-mêmes. François Ier écrivit un jour au parlement une lettre où il s’excusait d’avoir vendu des places de juges, et où il priait la cour de lui indiquer le moyen de supprimer cet abus : le parlement ne trouva pas ce moyen. Les rois paraissent avoir regretté d’avoir établi la vénalité des charges ; la magistrature fit tous ses efforts pour la conserver. François II et Charles IX essayèrent en vain, par des ordonnances de 1559, de 1560, de 1566, de rétablir les élections dans le parlement ; ils n’y réussirent pas. La royauté avait compris combien la vénalité des charges était contraire à ses intérêts, et la magistrature avait senti de son côté combien cette même vénalité lui était avantageuse. Il y eut pendant près d’un siècle une véritable lutte entre la magistrature, qui prétendait vendre ses charges, et la royauté, qui essayait de l’en empêcher. La royauté fut la plus faible parce qu’elle avait toujours besoin d’argent ; elle ne put jamais rembourser les offices de judicature, et elle fut bien forcée de permettre aux magistrats de revendre ce qu’ils avaient acheté.

Il est vrai que le gouvernement s’était réservé un moyen de reprendre les charges : en autorisant les magistrats à les vendre, il ne leur avait pas permis de les léguer. Il refusait d’admettre qu’une fonction judiciaire fût assimilée exactement à un patrimoine. On établit donc cette règle que le magistrat pourrait résigner, c’est-à-dire vendre de son vivant, mais que, s’il mourait sans avoir résigné ou même s’il ne survivait pas au moins quarante jours à l’acte de résignation, sa charge faisait retour au roi, qui pouvait alors ou la supprimer ou la revendre à son profit. La magistrature s’efforça d’amener le gouvernement à renoncer à cette règle, qui était en effet contraire à l’ensemble du système ; il fallait ou supprimer la vénalité à sa source ou en admettre la conséquence naturelle, c’est-à-dire la transmission héréditaire. La magistrature souhaitait vivement que la royauté prît ce dernier parti ; elle l’obtint, comme on obtenait tout de cette monarchie, par la force de l’argent. En 1604, Sully était à la recherche de nouveaux impôts qui n’augmentassent pas le fardeau déjà bien lourd que portait la population. Il s’avisa de frapper d’une taxe les charges de judicature, mais il fut convenu