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prêt de 6,000 livres. C’est une opération que le prédécesseur de François Ier avait faite sur plusieurs offices de finance ; l’étendre aux places de juges sembla naturel. Elle fut renouvelée plus d’une fois par le même prince, puis par tous ses successeurs et leurs ministres, y compris Colbert. Ce qu’on avait fait d’abord pour le parlement de Paris, on le fit pour les parlemens de province, puis pour les tribunaux inférieurs ; on doubla, on tripla le nombre des juges. On créa de la même façon et pour le même motif beaucoup d’offices de finance, et même des offices de police et d’administration. Ce gouvernement de l’ancien régime fut toujours à court d’argent ; il lui parut commode de s’en procurer en vendant presque chaque année de nouvelles fonctions. Qu’elles fussent inutiles, dangereuses, parfois même grotesques, il n’importait, pourvu qu’elles satisfissent aux besoins journaliers du trésor : on estime que le nombre de ces fonctionnaires dépassa cent mille. Chacun d’eux à l’origine avait versé une somme à l’état à titre d’emprunt. Ces cent mille fonctions représentaient donc autant de créances ; elles formaient un des principaux chapitres de la dette publique de l’ancien régime. L’état en servait les intérêts, moitié sous forme d’appointemens, moitié sous forme d’exemption d’impôts. Il avait le droit de les supprimer ; mais en ce cas il n’était douteux pour personne qu’il ne dût rembourser la somme prêtée, et le gouvernement s’astreignit toujours à l’observation de cette règle. Rembourser quelques offices fut une opération qui s’exécuta maintes fois, et elle ressemble trait pour trait à celle que font les états modernes quand ils remboursent une partie de leurs rentes. Toute cette multitude d’offices formait ce que nous appellerions aujourd’hui une dette consolidée, car l’état n’était jamais tenu à rembourser le capital. Il ne le faisait que quand il le pouvait et en choisissant son moment. En temps de paix, il supprimait volontiers quelques offices, et en temps de guerre il les rétablissait, absolument comme de nos jours on amortit ou l’on emprunte. Ces offices, comme tout ce qui est acquis par achat et par contrat, devenaient nécessairement une propriété ; le titulaire, aussi longtemps qu’il n’était pas remboursé, était irrévocable. S’il voulait se démettre, il ne le faisait pas entre les mains du roi, qui eût dû le rembourser, mais entre les mains d’un tiers à qui il cédait à la fois sa fonction et sa créance. Ces titres se transmettaient à peu près comme se transmettent ceux de la dette publique ; ils avaient même une hausse et une baisse, ils baissaient quand on avait lieu de craindre que l’état ne remboursât « d’après le taux de la première finance, » ils haussaient lorsque la sécurité des possesseurs était garantie, ou lorsque les bénéfices attachés à chaque fonction venaient à augmenter.