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textes latins sont d’une extrême rareté. Les campagnes de Thrace, comme celles de la Gaule aux temps romains, étaient divisées en pagi ou villages ; plusieurs pagi formaient une famille ou genos. Les villes avaient l’administration de toutes les grandes cités gréco-romaines. Les bas-reliefs nous rendent les caractères originaux du panthéon thrace pour le même temps. Le génie de cette nation avait transformé les dieux classiques, fait de Diane une virago armée d’un pieu, d’Apollon un fort chasseur ; il gardait aussi des divinités particulières : un héros à cheval combattant les bêtes féroces, qui paraît avoir été le type premier du saint George byzantin, et, ce qui est plus étrange, des déesses-mères semblables à celles qui se retrouvent si fréquemment en Gaule. Toutefois la mine la plus précieuse d’antiquités en Thrace n’a pas encore été explorée. Les tumulus qu’on voit dans ce pays répondent à la description qu’Hérodote en a donnée ; ils sont pour la plupart des sépultures importantes. Il faut renoncer à les compter. Quelques-uns ont été ouverts par hasard ; on y a trouvé des bijoux d’origine grecque, des armes et des objets barbares. Ils ne sont pas moins précieux que ceux de la Scandinavie, de la Gaule, du Pont-Euxin, qui nous ont livré tant de richesses. Le jour où on se déciderait à les fouiller avec méthode, ils nous révéleraient en grande partie l’histoire la plus ancienne de ces contrées.

Ces pauvres pays bulgares sont encore bien tristes, il faudra de longues années pour qu’ils sortent de leur ignorance ; du moins ils en ont le désir, ils l’ont prouvé par leurs actes. La taxe qu’ils s’imposent pour les écoles est une mesure aussi sage que patriotique le succès récompensera ces efforts. Le temps viendra aussi où ce peuple aura une église nationale, condition indispensable de son progrès. Dans l’état où il est aujourd’hui, le voyageur ne peut le négliger ; on ne saurait parler de la Turquie sans tenir compte d’une population aussi nombreuse, et qui s’augmente tous les jours. Si les Bulgares sortent de l’apathie où ils ont dormi trop longtemps, ils comprendront le prix de leurs vieilles traditions, la valeur de toutes ces légendes que nous ne pouvons qu’imparfaitement étudier sans eux, l’importance de ces restes antiques qu’eux seuls sauront tous recueillir. Le Rhodope et l’Hémus ont été la patrie d’Orphée, un des berceaux des cultes grecs, une des sources de toute cette civilisation hellénique dont notre monde a vécu. Ces montagnes nous livreront-elles un jour les secrets qu’elles gardent depuis tant de siècles ?


ALBERT DUMONT.