Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/574

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’archéologie n’est pas une étude de curiosité où les objets ont d’autant plus de valeur qu’ils sont plus rares ; ce qu’elle veut surtout, c’est faire revivre les époques disparues, retrouver la physionomie des pays qui souvent ne nous ont laissé sur eux-mêmes aucun détail précis. Là est le charme de cette science si peu aride. Qu’a été la vie de ces vastes contrées, quand la civilisation s’y est-elle introduite ? par qui a-t-elle été apportée ? dans quelle mesure a-t-elle modifié les usages de la race primitive ? A toutes ces questions, l’antiquaire seul peut essayer de répondre.

Dès le IVe siècle avant notre ère, les commerçans grecs visitaient la Thrace barbare ; ils y venaient sans doute comme nous allons aujourd’hui dans les cantons reculés de l’Australie, dans les parties du Soudan qui avoisinent l’Algérie et le Sénégal. Ils ont laissé dans la vallée supérieure de l’Hèbre des monnaies qui sont des dates, des tétradrachmes d’Athènes de l’ancien et du nouveau style, des pièces de Thasos, de Maronée, de Byzance. La Turquie d’Europe, que Strabon appelle l’Illyrie et la Thrace, recevait deux sortes de voyageurs : les uns venaient d’Athènes, des colonies de la mer Egée et du Bosphore, et remontaient jusqu’au-delà de l’Hémus : ils s’arrêtaient à la rive droite du Margus ; les autres appartenaient aux grandes villes de l’Adriatique, en particulier aux colonies de Dyrrachium et d’Apollonie ; ils exploitaient la moitié occidentale de la péninsule. La comparaison des médailles recueillies jusqu’ici en Roumélie, en Serbie, en Bosnie, rend ces conclusions évidentes, elle permet de retrouver la plus ancienne géographie commerciale de ce pays. Au IIIe siècle, la civilisation pénètre dans l’Hémus. On peut voir dans le cimetière turc de Tatar-Bazarjik (l’ancienne Bessapara) un marbre contemporain d’Alexandre. Les Ottomans le regardent comme une pierre sacrée, ils viennent y attacher des fils arrachés aux vêtemens des malades, y prendre une poussière qui a des vertus miraculeuses. C’est une stèle grecque qui porte une inscription en très beaux caractères ; elle témoigne de l’existence, dans cette région, d’une ville et d’une administration helléniques ; elle fait mention de panégyries, du culte d’Apollon, de récompenses décernées aux vainqueurs agonistiques. C’est à la même époque que se rapportent des objets de bronze qui ont toute la perfection des œuvres athéniennes des plus beaux temps. Plus tard, cette civilisation s’étendit dans toute la Thrace, mais surtout dans les plaines. Les inscriptions et les bas-reliefs attestent l’existence de centres importans. Le nom de ces bourgs est perdu ; mais nous constatons facilement combien ils étaient nombreux. On admettait généralement que la civilisation répandue dans le pays à l’époque de la conquête romaine était latine ; il faut renoncer à cette opinion. Sous l’empire, la langue générale des villages et des villes était le grec, les