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Rhodope ; mais, comme le remarquent les Grecs, elle n’est pas désintéressée dans la question. C’est pour elle une trop bonne fortune que de rencontrer dans les souvenirs slaves d’aussi antiques traditions. La science ne sera pas longtemps incertaine : la question est trop importante pour ne pas être étudiée par des érudits qui n’aient à se préoccuper ni du panslavisme, ni de l’hellénisme, mais cherchent simplement la vérité[1].


III

Les Grecs, dans la province de Philippopolis, sont une infime minorité ; malgré leur petit nombre, on les trouve partout. Souvent dans un village turc ou bulgare il n’y a qu’un Grec, mais ce Grec cumule les professions de cafedji, de mercier, d’épicier, d’écrivain public. Sa boutique est un bazar en miniature. Il n’est pas rare que ce marchand soit un tout jeune homme, un enfant de quatorze à quinze ans. Sa famille, lui a donné quelques livres turques, il a été chercher fortune. Quand il aura amassé un peu d’argent, ou simplement quand le goût des voyages le reprendra, il quittera son magasin. Ces Hellènes viennent quelquefois de très loin. J’en ai vu à Tatar-Bazarjik une quinzaine qui étaient nés en Épire, à Janina. Depuis longues années, cette ville envoie dans l’Hémus des boulangers, des serruriers, des tailleurs ; ils restent quatre et cinq ans au milieu des Bulgares, puis retournent dans leur pays et sont remplacés par d’autres. Parmi les Grecs d’Épire qui voyagent dans ces contrées, les kaloiatroi (bons médecins) méritent une mention particulière. Ils appartiennent tous à un même canton, celui de Zagori. Cette profonde vallée, perdue dans les escarpemens du Pinde, a été respectée par les invasions. Là vit répandue dans six villages une population très pure qui prétend conserver depuis de longs siècles de vieilles traditions de chirurgie, la connaissance des plantes médicinales. Ces docteurs forment une sorte de confrérie où chaque famille a une spécialité, où le fils succède au père. Toute leur science se transmet oralement ; ils parcourent la Turquie, où ils sont fort estimés, et y amassent d’assez grosses sommes. C’est toujours un événement heureux pour un village que d’entendre le matin dans les rues une voix étrangère qui répète : « Venez tous, vous qui êtes malades, voilà le fameux médecin de Zagori. » Cette petite

  1. Il est évident que M. Vercovitch a eu trop à cœur de trouver dans les chants du Despoto des souvenirs très anciens. Il parle dans son commentaire du dieu Vichnou, dont les Bulgares-Pomazi, dit-il, connaissent encore le nom. Ici l’erreur est certaine. Vichnou est le datif du mot bulgare vichni, très haut, très élevé ; la forme vichnou s’emploie aussi parfois comme vocatif.