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représentent Orphée comme un habitant du Rhodope et de l’Hémus, et qu’une partie de la race hellénique, avant de descendre dans les vallées du Pinde, s’arrêta sur les bords de l’Hèbre. Quelques chants du Despoto-Planina célèbrent un Orfen, habile musicien, qui charme les peuples, adoucit les mœurs barbares, et séduit par la perfection de son art jusqu’aux divinités malfaisantes de l’air. La légende d’Eurydice se retrouve même dans ces poésies. La femme d’Orphée s’appelle Orfénisa ; le musicien va la conquérir au milieu de mille obstacles dont il triomphe, grâce à sa petite flûte, la svirka. Il perd Orfénisa, la retrouve, la dispute aux Samovilas, enfin est assez heureux pour la transporter au ciel.

Dans un de ces poèmes, Orfen est représenté comme l’instituteur du genre humain.


« Orfen ne resta pas davantage dans le ciel, mais ayant chanté un chant à Dieu pour le remercier de l’avoir choisi pour enseigner les arts aux hommes, il descendit sur la terre, alla tout droit au pays des Youdas (génies malfaisans), puis il se mit à jouer de la flûte, à jouer un air qui enchante, et il enchanta les Youdas de telle sorte qu’elles tombèrent comme mortes par terre ; les oiseaux aussi se rassemblèrent autour de lui, et furent de même enchantés par la musique. Lui alors releva la première parmi les Youdas, et il l’interrogeait sur tous les arts ; elle, n’ayant pas conscience de ce qu’elle faisait, lui révéla tous les arts l’un après l’autre, et en un jour il les apprit tous parce que Dieu l’assistait. Dès qu’il les eut appris, il s’envola tenant sa flûte à la main, et parcourut la terre pendant un an. Partout où il passait, il enseignait les arts aux hommes ; tous les apprirent, et ils le regardaient comme un dieu ; ils pensaient que Dieu était descendu sur la terre tout exprès pour enseigner les arts aux hommes. »


Orfen retourne dans le pays des Youdas, se marie, et devient grand roi de la terre.


« Il commanda aux Youdas d’aller habiter les unes dans les montagnes, les autres dans les eaux, d’autres encore dans les vents, et ainsi jusqu’au jour d’aujourd’hui elles vont, viennent et trompent les hommes. Orfen occupa leur pays ; il engendra un grand nombre de fils et de filles qui le peuplèrent, et vécut juste mille ans, après quoi il s’en alla au ciel, et il se peut qu’il y soit encore vivant. »


Ce serait une si grande découverte, celle de poèmes consacrés à Orphée et répétés encore de nos jours, que M. Vercovitch trouvera sans doute en Europe beaucoup d’incrédules. La Société littéraire de Belgrade, à laquelle ces chants ont été soumis, admet sans hésitation que la légende d’Orphée est encore vivante dans le