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Occidentaux de voir une race aussi intelligente ne pas se choquer de la médiocrité de ses prêtres et de ses évêques. A cela, il y a plusieurs raisons : ce clergé est national, il s’est toujours mis à la tête des mouvemens patriotiques, il n’a point avec les fidèles de sa race et de son sang d’exigences excessives ; mais ce qui explique surtout l’indulgence des Grecs, c’est la forme même de leur esprit religieux. Leur piété n’engage que bien peu la conscience ou la raison ; pour eux, la conduite de la vie n’est point soumise aux règles de la religion. Un clergé qui n’exerce aucune direction morale n’est pas exposé aux révoltes des volontés froissées, aux rigueurs de la critique, à des comparaisons entre ce qu’il fait et ce qu’il dit. Il n’y a point de sermon dans les offices grecs. Il est vrai que la confession est obligatoire ; même des Grecs qui se disent un peu naïvement libres penseurs s’y soumettent deux ou trois fois l’an. Le papas arrive à jour fixe ; domestiques, femmes, enfans, toute la maison se présente devant lui ; votre hôte vous quitte au milieu d’une conversation : « accordez-moi un instant, dit-il, le prêtre est dans la chambre à côté ; je vais me confesser, et je reviens. » Le fidèle dit quelques paroles, le papas prononce une formule, reçoit une petite pièce pour chaque absolution, et continue sa tournée. Les Grecs sont très assidus à la messe ; les hommes surtout ne s’en dispensent guère, ils restent debout de longues heures sans parler, sans prier, sans voir l’autel que cache un voile durant la plus grande partie de l’office. L’usage des livres de prières est tout à fait inconnu, bien que tous les Grecs sachent lire. En dehors des jours de fête, l’église est fermée, et personne n’a idée d’y aller : ce n’est ni un lieu de recueillement ni une retraite pour la méditation.

Le principal reproche que font leurs institutrices aux jeunes filles grecques qui sont élevées en Europe, c’est qu’elles n’ont pas l’intelligence de la prière. Une Grecque peut prendre nos modes, nos habitudes, avoir beaucoup d’esprit et de grâce ; elle ne comprend jamais le sens de la vie mystique. Les religieuses et les missionnaires qui habitent l’Orient recueillent sur ce point des observations intéressantes ; il leur est facile de voir combien la piété intérieure telle que la pratique notre race est lettre morte pour ce peuple. Une supérieure qui avait dans son couvent des sœurs d’origine grecque disait : « Je n’ai rien à leur reprocher ; elles suivent la règle ponctuellement, mais elles vivent dans une torpeur d’âme qui me désole. Je leur demande pourquoi elles ont pris le voile ; elles me répondent : Parce qu’il nous est doux de passer notre vie dans cette maison. Elles sont ici dans un lieu agréable, comme des femmes turques dans un harem. » On ne peut dire que le clergé orthodoxe soit opposé aux nouveautés scientifiques et philosophiques ; il n’en soupçonne pas l’existence. Les prêtres de la Grèce antique avaient