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peu d’ombrage au clergé. Ils semblent être des voyageurs que le pays intéresse, qui le visitent avec leur famille, et disposent d’assez d’argent pour faire le bien[1]. Les missions de ce genre peuvent prétendre à une grande influence ; déjà elles commencent à écrire des livres d’éducation. Leurs débuts ont eu quelque incertitude : il fallait apprendre la langue, étudier le caractère du pays, c’était là une préparation très longue ; mais la Société biblique a montré qu’elle ne se lasse pas, qu’elle fait entrer le temps dans tous ses projets. On sait du reste quelles sont l’énergie, l’activité pratique de la race anglo-saxonne. Les missions américaines, qu’on rencontre partout dans l’Orient, ont été la première intervention des États-Unis dans cette partie du vieux monde, elles sont très nombreuses. En même temps le cabinet de Washington créait des consulats dans des pays où ils n’ont à protéger que bien peu d’intérêts commerciaux. Ainsi depuis 1867 il a des agens à Syra et à Santorin. On n’a pas oublié le rôle très actif du consul américain dans la révolution de Crète, comme ce bruit, qui s’est si facilement accrédité en Grèce, bien que très peu fondé, de l’achat par les États-Unis d’une île dans les Cyclades. Le progrès des Américains dans l’empire turc est encore lent ; les Hellènes auraient tort de penser qu’il sera dans un bref délai un auxiliaire pour leur cause, et les Européens, qu’il soit destiné à bientôt se ralentir.

Ces écoles bulgares encore si récentes sont dès aujourd’hui prospères. Celle de Philippopolis vient de bâtir un vaste lycée très confortable, qui a été inauguré en 1868 ; celle de Tatar-Bazarjik occupe également une maison de belle apparence. Les professeurs y ont un goût très vif pour l’instruction ; plusieurs connaissent l’Europe, tous au moins Vienne et Moscou. Ils entreprennent des travaux personnels, qui sont un signe de leur zèle. L’un d’eux m’a montré de nombreux documens destinés à une histoire de la province romaine de Thrace, des inscriptions grecques et latines qu’il avait recueillies dans le Rhodope ; il n’est pas jusqu’à la polémique entre les professeurs bulgares et les érudits grecs qui ne soit un signe excellent. Les Grecs prétendent que leurs pères ont habité seuls la Thrace longtemps avant l’arrivée des Slaves, les Bulgares que les Thraces d’Hérodote et de Xénophon étaient des Slaves, et qu’eux-mêmes n’ont que du sang slave dans les veines. Les argumens produits jusqu’ici n’ont que peu de valeur scientifique. Il est à souhaiter cependant que la querelle ne se ralentisse pas ; peut-être amènera-t-elle quelque découverte dont l’Europe profitera pour éclairer ces questions d’origine si obscures. Certes on ne peut pas

  1. Ils ont 7,000 francs de traitement fixe et portent en compte leurs voyages comme toutes les dépenses qu’ils doivent faire. Il y a loin de cette richesse à la pauvreté des missionnaires catholiques.