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porte et par l’ouverture percée dans le chaume pour laisser échapper la fumée. Au milieu des ténèbres auxquelles les yeux s’habituent, vous apercevez ce pauvre logis, quelques escabeaux, la petite table turque, les pots fixés au mur par des clous de bois, des couvertures pliées qu’on étendra le soir pour dormir. La famille est nombreuse, mais muette. J’ai passé des demi-journées dans ces maisons sans entendre une parole. Ces gens cependant vous reçoivent de leur mieux ; ce qu’ils peuvent faire, ils le font ; si vous êtes malade, leur figure montre qu’ils ont grande pitié de vous. Il est facile de voir qu’ils sont bons, que le père aime sa femme et ses enfans, que tous le respectent. — Il faut regarder de plus près les cabanes bulgares : elles sont très propres ; la terre battue forme le sol, mais ce sol est balayé, uni, solide. Les escabeaux sont bien équarris, la ménagère brosse tous les jours les couvertures et les plie avec soin ; si tout est pauvre, rien n’indique l’abandon ni la paresse. Le Bulgare aime son chez lui, il veut s’y trouver bien. Il n’est pas rare de rencontrer dans ces logis de si triste apparence des sucreries et des friandises. L’hydromel qu’on vous offre, sorte de vin cuit dans lequel on a délayé du miel, est une boisson excellente. Les femmes font une cuisine délicate, qui n’a que le défaut d’être un peu fade.

La vie de ces paysans se passe à labourer le petit champ dont ils vivent. D’ordinaire ils le cultivent pour le compte de quelque riche propriétaire grec ou arménien. Les seules distractions de cette monotonie sont les grandes foires où l’on va de 50 lieues à la ronde et de plus loin encore, la danse ou choro le soir après le travail. La foire principale de cette partie de la Turquie est celle d’Ouzoungova, qui se tient à mi-chemin entre Andrinople et Philippopolis. Au mois d’octobre, deux villages de tentes et de baraques en planches s’élèvent en cet endroit, l’un pour les boutiques, l’autre pour les acheteurs. Tout autour s’alignent des milliers de chariots qui ont amené la foule, paissent des troupeaux de grands bœufs à longue corne recourbée, des chevaux qui ont traîné les véhicules. Ces voitures grossières, souvent à roues pleines, sont construites pour aller à travers champs, au milieu des marais. La cuisine se fait en plein air ; on tue les agneaux et les bœufs dans des fosses remplies de détritus et de sang, on rôtit les viandes à de grands feux dans la plaine. Cette foire, où viennent plus de 20,000 personnes, dure plusieurs semaines. On y vend surtout des étoffes communes et ces petits objets de mercerie indispensables dans la vie du ménage. Le paysan y apporte des fourrures ; les riches propriétaires y rencontrent des Européens qui voyagent dans le pays pour les soies, la laine et les céréales. Je n’y ai pas remarqué de ces beaux bijoux dont les Grecques, les Albanaises ou les Slaves aiment à se parer ; une verroterie très vulgaire suffit aux femmes bulgares. Ce qui frappe peut-être le