Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/552

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bulgares ont été jusqu’ici les plus paisibles ; ni l’exemple des Bosniaques et des Serbes, ni celui des Grecs et des Albanais n’ont pu les engager à se révolter contre la Porte. Cependant, depuis dix ans environ, il s’accomplit chez eux une révolution ou plutôt un changement tout pacifique qui a déjà fait de singuliers progrès ; ils commencent à s’instruire, ils conçoivent l’espérance d’un avenir meilleur. Où en est ce mouvement, qui est surtout le privilège des villes ? Dans quelle mesure pénètre-t-il dans les campagnes ? Que doit-on en espérer ? C’est surtout dans cette province qu’il faut l’étudier, car c’est là qu’il a pris naissance, parce que le contact des Grecs, leur exemple d’activité et d’intelligence, ont stimulé les Bulgares. Le mystère dans lequel cette race a vécu, moins visitée que toute autre parce qu’elle habite presque tout entière au centre de la péninsule, les dispositions naturelles qui lui ont fait accepter si facilement la domination ottomane, excitent la curiosité des voyageurs. L’historien ne peut oublier non plus qu’il ne lui est pas permis de négliger les formes inférieures de la civilisation. Quels que soient les défauts de cette race, si dans la province de Philippopolis elle représente les quatre cinquièmes de la population, elle compte dans le vilayet du Danube et sur la frontière de la Macédoine 4 millions d’habitans : c’est là un chiffre considérable. Peut-on penser qu’une nationalité aussi puissante, sinon par les qualités de l’esprit, du moins par le nombre, aura toujours un rôle secondaire dans l’histoire intérieure de la Turquie ?

Philippopolis me parut un centre d’où il serait facile de visiter la plus grande partie de la province, d’aller à l’ouest jusqu’à Tatar-Bazarjik et à Batkoum, au nord à Lidja et dans les petits villages qui s’étagent sur les contre-forts de l’Hémus, au sud dans les grandes vallées du Rhodope, surtout dans celles de Sténimacho et de Batskovo. La ville est un séjour agréable. Bâtie sur trois rochers que baigne la Maritza et qui s’élèvent au milieu de la plaine comme des piédestaux gigantesques, elle a dû à cette triple acropole le nom de Trimontium, que lui donnaient les anciens. De ces sommets, où les maisons dominent des précipices de 3 à 400 mètres, la vue embrasse la chaîne entière de l’Hémus. Ce chef-lieu compte 6,500 maisons et 2,000 boutiques ; c’est, comme on le voit, une ville importante. Bien qu’on y trouve une assez bonne auberge, le gymnase grec voulut m’offrir l’hospitalité. Un excellent ami, M. Auguste Dozon, consul de France, mit à mon service sa connaissance du pays. Cet accueil si cordial ne devait pas moins contribuer que l’abondance des objets antiques et la nouveauté des sujets d’études plus modernes à me retenir dans ce sandjak. J’y ai passé cinq semaines, qui sont un des plus chers souvenirs de mon voyage.