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distinguer entre la ville et la citadelle ; le parlementaire déclare que la ville sera brûlée avant qu’il soit tiré un coup de canon sur la citadelle. Après son départ, grand émoi dans les rues. Les habitans courent du préfet au général. Placés en face de la terrible réalité, ceux-ci comprennent qu’on ne peut faire brûler une ville pour l’honneur d’une citadelle qui ne saurait la protéger, ni se défendre elle-même ; mais ils ont pris un engagement public : il leur faut l’autorisation de ne point le tenir. Ils télégraphient au ministère de la guerre, d’où arrive, la nuit, cette réponse : « agissez devant la sommation suivant la nécessité. » Ils font enfin la juste appréciation de cette nécessité, et rédigent la capitulation. Si l’on avait, quelques jours plus tôt, sainement jugé de l’état des choses, le général Thérémin et les quinze cents mobiles auraient évacué la place avec tout son matériel, et ces jeunes hommes qui, pour devenir des soldats, n’avaient besoin que d’expérience, eussent été conservés à la défense nationale.

Le 9 septembre, à midi, l’armée allemande fait son entrée en ville, musique en tête. Après que les postes ont été placés, le duc de Mecklembourg se rend à la citadelle avec son état-major et un bataillon de chasseurs. Le général venait de faire la remise de la citadelle et s’entretenait avec le duc de Mecklembourg. Les mobiles, que la capitulation renvoyait dans leurs foyers à la condition de ne plus servir pendant la durée des hostilités, avaient déposé leurs armes et achevaient de défiler quand une explosion retentit. Un grand cri s’élève ; un nuage épais, noir, monte en se tordant vers le ciel : la poudrière a sauté. 460 personnes gisent à terre, parmi lesquelles 100 Allemands. Le général et le duc sont tombés l’un près de l’autre ; mais celui-ci se relève vite en proférant des cris de colère et de vengeance. Dans la ville, l’explosion a brisé au loin les vitres des maisons et projeté de tous côtés des pierres qui ont atteint jusqu’au sommet des tours de la cathédrale et d’horribles débris humains qu’on retrouvera dans les greniers. Des murs sont fracassés, des toits effondrés. On sort des maisons, on s’interroge ; mais un flot d’Allemands et de mobiles s’est précipité dans les rues au bruit de l’explosion. Les Allemands tirent sur les mobiles, les poursuivent jusque dans les maisons, dans les caves. Bientôt paraît le duc de Mecklembourg, traînant son pied blessé. Il pleut à torrens, et son visage, son manteau noir, ruissellent d’une boue jaunâtre. Un piquet de soldats l’escorte, l’arme prête, regardant de droite et de gauche, visant les rares habitans qui paraissent dans la rue ou montrent aux fenêtres leurs visages effarés. Le cortège arrive à l’hôtel de ville. « Où sont les autorités ? » s’écrie le duc. Le maire se présente. « C’est une honte pour la France, continue le duc,