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rime ni raison, la tour ronde et la tour carrée, aussi solides l’une que l’autre, et qui s’écrouleraient au premier sifflement de l’obus. Si la citadelle est moderne et forte, elle ne saurait protéger tout le plateau laonnois. La forme de ce plateau peut être exactement comparée à celle de la Sicile, l’île aux trois pointes. C’est à la pointe orientale que se dresse la citadelle ; mais sur le promontoire de l’ouest tournent pacifiquement les ailes d’un moulin à vent, et les vieilles murailles du monastère Saint-Vincent se cachent dans un bosquet à la pointe du sud. Pour que l’on pût appeler Laon une ville forte, il faudrait que chacun de ces caps portât une forteresse, que la ville fût entourée d’une enceinte, que l’artillerie et la garnison fussent en mesure de défendre un pourtour de quatre kilomètres.

On comptait à Laon une trentaine de canons, parmi lesquels trois ou quatre pouvaient être utiles, un seul pouvait réellement servir ; quant aux artilleurs, il s’en trouvait une compagnie parmi les 4,500 mobiles qui composaient la garnison, on avait même un mobile qui savait tout l’exercice à feu ; au moment suprême, on lui confiera la bonne pièce. Il est difficile à une population qui se sait ainsi protégée d’attendre avec sérénité l’orage qui s’approche. On l’a dotée d’un comité de défense, mais elle sait que les officiers du génie du corps Vinoy ont déclaré que la ville ne peut être défendue sans de grands travaux, qu’on n’a pas le temps d’exécuter. Ce ne sont point les tranchées qu’on creuse devant ses portes qui la rassureront : d’un saut, on les franchirait comme le fossé de Romulus. On la convie à prendre part aux travaux de la citadelle, et l’autorité militaire fait une réquisition de pioches, ignorant qu’elle en possède en magasin cinq cents, toutes neuves, que les Prussiens sauront bien trouver. Le maire fournit les pioches, et à l’heure dite se met à la tête d’une escouade de travailleurs volontaires. On arrive à la citadelle ; le portier et le garde du génie demandent, étonnés, ce qu’on vient faire. On attend deux heures par une pluie battante, puis on se retire. Ces petits faits donnent aux habitans une haute idée de l’organisation de la défense ; bientôt ils apprendront que, vérification faite, on manque d’étoupilles, il faut en envoyer quérir à La Fère. En vérité, comme disait le préfet, « la ville de Laon, chef-lieu du département, était en mesure de rendre les services que sa situation comportait. » Elle était en mesure de repousser les avant-coureurs de l’armée du grand-duc de Mecklembourg ; mais contre cette armée elle ne pouvait rien… que se laisser détruire, sans profit pour personne.

C’est bien de la destruction de la ville que parle le colonel comte Alvensleben, quand il vient, le 8 septembre, la sommer de se rendre le lendemain à six heures du matin. En vain veut-on l’amener à