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universelle et plus encore d’une révolution sociale. Atteindre la fortune ou, plus exactement, le revenu d’une façon proportionnelle, voilà au fond l’objet unique que l’on doit avoir en vue. Autrement on fausse cette question de l’impôt, déjà si difficile en elle-même, à force de l’étendre ; on dénature par une application abusive de la politique, et le plus souvent d’une politique détestable, une question qui reste économique par essence.


II

Le caractère actuel des impôts sur les consommations de luxe, à consulter notre budget et celui des autres états, y compris ceux des états démocratiques par excellence, la Suisse et les États-Unis, c’est d’être en nombre limité, bien plus limité que les manifestations du luxe, et en général d’un rendement modique. Ou bien on vise à atteindre ce qui est un luxe général, car en dépit de la contradiction qui semble être dans ces mots : luxe général, il y a telle dépense à beaucoup d’égards superflue qu’un très grand nombre de personnes se permettent ; dans ce cas seulement, le revenu de l’impôt a chance de s’élever, — ou bien on établit certaines catégories qui ne regardent que les riches ou du moins des consommations qui supposent l’aisance assez développée, et ces taxes, sans être ni injustes, ni à dédaigner par leur ensemble au point de vue financier, ne peuvent donner beaucoup. Elles deviendraient oppressives et se tariraient elles-mêmes, si on leur demandait au-delà des limites les plus modérées. La raison en est que la plupart des personnes qu’on appelle riches ne le sont que dans des proportions assez restreintes, surtout dans un pays où la fortune est morcelée comme en France sous la double forme foncière et mobilière. L’exiguïté relative de ces derniers impôts leur a même créé des censeurs qui vont jusqu’à les regarder comme plus nuisibles qu’utiles. L’auteur d’études justement remarquées ici même, M. Victor Bonnet, renouvelait récemment contre telle de ces taxes, celle sur les voitures et les chevaux par exemple, une critique qui serait la condamnation absolue de toutes ces taxes spéciales atteignant les consommations de luxe. « Ou bien, dit-il, ceux sur qui la taxe tombera consentiront à la payer en conservant la même quantité de chevaux et de voitures, et alors ils se restreindront sur d’autres choses, ils consommeront moins de vin, moins de sucre, moins d’étoffe de diverses espèces, etc., de sorte que, si la taxe rapporte 20 millions, ce sera 20 millions d’enlevés à la consommation générale, partant à la production, ce qui réagira nécessairement sur les salaires et les fera baisser ; ou