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la liberté et de l’égalité. Rarement les démocraties se sont contentées de voir dans les manifestations du luxe un simple signe de la richesse qui aide à l’atteindre par l’impôt selon la règle d’une exacte proportion, ou une de ces dépenses facultatives que le législateur peut surtaxer dans une certaine mesure sans s’inspirer d’une haine jalouse. Je prendrai pour exemple la révolution française. La rancune démocratique contre le luxe, avant de passer dans quelques taxes dictées par ce sentiment malveillant contre les riches, prit des formes aussi violentes que variées. Sans doute le luxe, lié aux anciens privilèges, devenait solidaire des mêmes représailles. En même temps que les riches sont traités en suspects à l’égal des nobles, les déclamations contre le superflu remplissent, dès 1789 et 1790, les discours et les journaux de la démagogie. Marat aboie au luxe dans son horrible feuille. Saint-Just, plus systématique, rédige ses plans à la Lycurgue. On est étonné de trouver ces mêmes idées de simplicité antique, alliées à des projets restrictifs contre la propriété, dans les harangues et dans les écrits de quelques girondins. Rousseau et Mably influent même sur ces esprits plus libéraux et plus intelligens des conditions de la vie moderne. Combien de fois n’est-il pas question à cette époque de diminuer l’opulence, de frapper le faste et la mollesse par un système d’impôt tendant à l’égalité et à la vertu ! C’est ce qui donne une signification plus accusée qu’elles ne l’auraient sans ces passions, sans ces préventions qui leur servent de commentaire, à quelques lois destinées à atteindre certaines manifestations de luxe. L’aristocratie anglaise avait après tout frayé la voie à la révolution, lorsque celle-ci taxa les chevaux, les domestiques, les mulets de luxe, les valets et les litières ; c’est l’intention chez quelques-uns de ceux qui votèrent ces mesures, c’est aussi le défaut de modération qu’il faut reprocher aux lois qui se succédèrent, en se modifiant les unes les autres, le 13 janvier 1791, le 14 thermidor an IV, le 26 fructidor an VI et le 3 nivôse an VII. Un document financier justement célèbre, le Rapport au roi, qui fut adressé à Charles X en 1830, dénonce sévèrement les effets du tarif de 1795, « qui force la richesse elle-même à prendre les attributs de la misère, et à subir le joug de cette ruineuse égalité qui est devenue l’idole du jour. » Le caractère progressif de l’impôt auquel il est fait allusion par le rapporteur put produire ce résultat dans une certaine mesure ; mais il est plus que probable que d’autres vexations encore plus efficaces contre le riche et le luxe, se joignant à l’état de souffrance des affaires, y contribuèrent dans une proportion beaucoup plus forte que la taxe elle-même.

Comment les mêmes instincts niveleurs auraient-ils disparu avec le développement des idées démocratiques ? Qui ne se souvient de la