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menace à la bouche. Il se livra aux plus violens emportemens. Peut-être pensait-il faire peur à Marguerite ; que pouvait-elle craindre encore ? Elle partit d’un éclat de rire ; elle lui disait : — Bien, vengez-vous de cette bourgeoise ; tuez-la par dépit, par fureur ; ce sera mieux ainsi. Où est votre couteau ?

Joseph sentit sa colère lui échapper ; il se mit à pleurer, à supplier Marguerite, à lui baiser les pieds, à l’appeler vingt fois par son nom en s’arrachant les cheveux. Elle fut inflexible, inexorable ; elle lui répéta le mot qu’il lui avait écrit : — Vous parlez à une pierre. — Il comprit que c’en était fait, que ses larmes et ses cris ne changeraient rien à sa résolution, qu’il s’était cruellement trompé, que son bonheur n’avait été qu’un rêve, et que le châtiment commençait pour lui. Il s’enfuit dans le bois, où il demeura plus d’une heure, marchant au hasard, l’esprit égaré, hors de lui, buttant contre les pierres et se heurtant contre les arbres. Son orgueil était mort du coup ; il ne portait plus dans son cœur déchiré et dans ses yeux qu’une inconsolable douleur, un désespoir sans nom, un amour éperdu qui s’épouvantait de ce qu’il avait promis et du sang qu’il allait répandre. Il pensa un instant à se tuer seul, à l’écart, pour s’affranchir de l’horreur de la voir mourir ; mais cette âme était forte jusque dans ses faiblesses, la foi jurée la retint. Il se résigna, son cœur se redressa dans sa poitrine, et, sortant du bois, il retourna auprès de Marguerite, qu’il retrouva immobile à la même place.

Elle le reçut avec douceur ; elle avait repris sa voix et son visage accoutumés. Elle lui dit en lui tendant la main : — Je ne vous reproche rien ; qui sommes-nous pour lutter contre les choses ? mais j’ai toujours eu confiance dans votre parole et dans votre courage. Autrement je ne serais pas ici. — Elle lui permit de se rasseoir à ses pieds et de lui réciter toutes les folles tendresses que sa beauté et leur malheur lui inspiraient. Elle l’écoutait avec indulgence, ou, pour mieux dire, avec l’application d’esprit d’une personne qui ne demande qu’à s’instruire et à comprendre ; mais il lui parlait une langue étrangère qu’elle savait bien mal, et dans ce qu’il disait il y avait beaucoup de choses que son bon sens trouvait inexplicables. Elle finit par le lui confesser avec une sorte d’enjouement et tant de bonne grâce qu’il ne put s’en fâcher. L’instant d’après, il devint silencieux et pensif ; il avait reconnu que depuis le matin il vivait sous l’empire d’une illusion. Il s’était cru seul avec Marguerite ; un tiers les accompagnait : c’était la mort, qui, debout auprès d’elle, la couvrait de son ombre.

Ils se levèrent, firent une promenade dans les bois. La nuit tombait quand une ondée survint et les trempa. Ils se mirent à courir,