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d’elle et lui dit tout bas : — M’expliquerez-vous, madame, pourquoi vous vous êtes enfuie de cette maison ?

Elle le regarda et lui répondit d’une voix qui ne tremblait point : — J’ai appris que vous êtes le meurtrier du marquis de Raoux.

Il chancela, comme frappé d’une balle au cœur. Il serait tombé, si sa main n’eût rencontré le dossier d’une chaise auquel il se retint. Son visage était livide, ses traits s’étaient décomposés. Il crut voir la chambre tourner deux ou trois fois autour de lui, emportant Marguerite dans son mouvement, et il lui sembla que dans chaque coin de cette chambre il y avait une femme assise qui lui criait : Voici le meurtrier du marquis de Raoux ! Il se prit à dire : — Au nom du ciel, parlez plus bas ! — Son vertige s’étant dissipé, il s’aperçut qu’il n’y avait qu’une femme, et que cette femme était la sienne. Il leva le bras d’un air menaçant. Le désespoir ne craint rien, Marguerite le regarda d’un œil tranquille, et ce regard lui rendit à peu près sa raison.

Il fit le tour de la chambre, ouvrant et refermant toutes les portes avec précaution, pour s’assurer que personne ne les avait entendus ; puis il revint s’asseoir, et son premier mot fut : — Je vous plains, madame, car vous comprenez qu’après cela nous ne pouvons plus nous quitter.

Il y eut un silence de quelques minutes. — Parlez, reprit-il ; qui s’est chargé de vous instruire ?… Vous parlerez, poursuivit-il d’une voix sourde. Voici l’heure des explications. Il faut que nous nous épargnions l’un à l’autre dans notre commun malheur la peine d’avoir encore quelque chose à chercher. Voulez-vous que je commence ? Il y a trop longtemps que je sens rôder autour de moi vos curiosités. Je savais bien que cela finirait ainsi… Madame, n’avez-vous pas de question à m’adresser ?

Elle lui fit signe que non. — Vous vous trompez, continua-t-il. Vous mourez d’envie de savoir comment et pourquoi… Vous n’aurez pas de repos que vous ne le sachiez. J’aime mieux vous le dire tout de suite.

Il s’interrompit pour essuyer son front avec son mouchoir ; il suait à grosses gouttes. Baissant encore la voix : — Ce fut à propos d’un cheval. Raoux avait juré de l’avoir ; j’enchéris sur lui à son insu, et le cheval fut à moi. De ce jour, notre amitié se refroidit. Madame, il me supplia tant que je consentis à jouer avec lui une partie d’échecs dont le cheval serait l’enjeu. Nous étions échauffés par le vin ce soir-là, nous battions la campagne. Depuis lors je n’ai jamais bu que de l’eau rougie, et vous savez aussi que le lendemain j’ai tué le cheval d’un coup de fusil ; je ne voulais plus le revoir, ni le monter, ni que personne le montât… Où donc en étais-je ? Vous