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l’humeur violente, il leur arrive de tuer Raoux, et Raoux mort, ayant un crime à cacher et leur tête à défendre, malheur à Marguerite Mirion, si jamais elle cesse d’être un agrément dans leur vie et qu’ils la puissent soupçonner d’être un danger !

Le triomphe de M. d’Ornis était complet. Il ramenait sa prisonnière et il se flattait, non sans raison, qu’elle ne tenterait plus de lui échapper. Où désormais pourrait-elle aller ? Il lui avait fermé les portes de Mon-Plaisir, il y régnait comme à Ornis. Toutefois il ne laissait pas d’être soucieux. Après avoir vécu pendant quarante-huit heures dans l’émotion d’une tempête, sa pensée s’étant rassise, il avait recouvré la faculté de réfléchir, et ses réflexions l’inquiétaient. Le mot de Marguerite : — emmenez-moi bien vite d’ici, car il y va de votre vie ! — lui tourmentait l’esprit. Avait-elle conçu des soupçons ou acquis des certitudes ? que s’était-il passé entre elle et Joseph ? Il aurait voulu s’en éclaircir sur-le-champ. À plusieurs reprises, chemin faisant, il essaya d’engager un entretien avec sa femme. Elle n’avait pas l’air de l’entendre ni de le voir ; tantôt elle fermait les yeux, et tantôt les laissait vaguer autour d’elle comme des chiens sans maître. — J’espère, lui disait M. d’Ornis, que nous sauverons du moins les apparences ; vous y êtes plus intéressée que moi.

Ce fut en apercevant les toits et les girouettes du château d’Ornis, dont le soleil faisait jaillir des étincelles, que Marguerite sentit toute l’horreur de sa situation et de ce cachot où elle allait être réintégrée. Quand la voiture eut atteint les premières maisons du hameau, elle fit un appel désespéré à son courage. Elle se redressa, se raidit. Elle essuya d’un air impassible les regards curieux ou ironiques que les passans lui jetaient à la dérobée. Elle contempla sans frissonner l’orangerie et le jardin potager, où elle crut reconnaître encore la trace de ses pas dans la neige à moitié fondue. Elle traversa le passage voûté, entendit le retentissement du sabot des chevaux sur les dalles de la cour, et n’accepta l’aide de personne pour descendre de voiture. Ayant mis pied à terre, elle fit un signe de tête à ses gens et courut s’enfermer dans son appartement.

À minuit, brisée de fatigue, elle se disposait à gagner son lit. Elle fit la réflexion que M. d’Ornis était savant dans le choix des lieux et des heures, et qu’il lui convenait peut-être de la surprendre dans son premier sommeil. Elle aurait pu tirer son verrou ; mais son insuccès l’avait dégoûtée des précautions, et d’ailleurs de quoi sert-il d’ajourner l’inévitable ? Elle ne quitta pas son fauteuil. Quelques instans plus tard, sa porte s’ouvrit, et M. d’Ornis parut.

Il eut l’air étonné de trouver encore sa femme sur pied, et demeura un moment immobile. Enfin, prenant son parti, il s’approcha