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défendre Marguerite Mirion, pour se remettre de son effroi ; on sentait qu’une tempête y avait passé. Si les murs étaient émus, les habitans de la bergerie l’étaient bien davantage. Ce fut Mme Mirion qui la première reprit son assiette. — Il reste là dedans bien du mystère, finit-elle par dire ; cependant il y a pour moi trois choses claires comme le soleil : Joseph est un scélérat ; ma fille est une innocente, mais une imprudente, et son mari nous a prouvé par sa jalousie à quel point il l’adore.

M. Mirion eut plus de peine à recouvrer son sang-froid. Il avait des inquiétudes et des doutes. Dans la soirée, il s’en fut promener sa profonde tristesse sur la terrasse ; une nouvelle émotion l’y attendait. Il n’avait pas fait dix pas qu’il crut voir une ombre apparaître à l’un des angles de la maison et disparaître aussitôt derrière un buisson. Il s’approcha, le cou tendu. L’ombre essaya de s’échapper ; contre son attente, une porte charretière sur laquelle elle comptait pour opérer sa retraite se trouva fermée au cadenas. La porte était haute, l’escalade chanceuse. Le rôdeur nocturne fit face à l’ennemi.

— Ah ! c’est toi, misérable ! s’écria M. Mirion.

Après avoir quitté M. Bertrand, Joseph avait regagné Ornis, ses deux papiers dans sa poche. Il avait passé la matinée à rôder dans les alentours du château, où il n’osait se présenter. Point de Marguerite. À midi, pour reprendre des forces, il alla dîner à l’auberge du Cheval-Blanc ; il entra dans la salle à boire comme un paysan contait à Mme Guibaut que la nuit précédente la jeune comtesse d’Ornis avait été rencontrée sur la route d’Arnay, se sauvant à bride abattue, et que son mari venait de partir à sa poursuite. Joseph devina ce qui s’était passé, qu’atterrée par la découverte qu’elle avait faite, Marguerite s’était réfugiée auprès de ses parens. Il se remit en route, se rendit à Beaune, et, jugeant que M. d’Ornis prendrait le train direct, par prudence il attendit le train suivant, lequel entra dans la gare de Genève une heure après que les deux époux en étaient repartis. À la nuit tombante, il s’était acheminé vers Mon-Plaisir pour s’assurer si Marguerite y était, impatient de la voir, de lui parler ; mais il est des jours malheureux, où les plus habiles se font prendre.

— C’est donc toi, misérable ! répéta M. Mirion en avançant le bras pour happer au collet Joseph, qui se dégagea et lui dit : — Vous voyez bien que je ne me sauve pas.

— Il est donc vrai, poursuivit M. Mirion, que, pour prix de toutes les bontés dont tu as été comblé, tu as osé lever les yeux sur la fille de tes bienfaiteurs ? Un Joseph Noirel qui se méconnaît jusqu’à devenir amoureux d’une Marguerite Mirion ! Heureusement la