attachait sur sa nièce des yeux aussi terribles que ceux des vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse à la vue d’un réprouvé. Mlle Grillet mit sa tête dans son giron et se boucha les oreilles ; sa vertu effarouchée n’en pouvait entendre davantage. On vit alors Marguerite tomber à genoux, le corps frissonnant, les mains tremblantes. Elle disait : — Grâce ! pitié ! Si vous m’aimez, ne me condamnez pas à cet affreux supplice !… Il y a des choses que je ne peux dire. Ah ! vous ne connaissez pas cet homme, il vous trompe… — Et se tournant vers lui : — Monsieur, ayez pitié de moi ! Je ne dirai rien, je vous jure que je ne dirai rien ; mais vous sentez bien que nous ne pouvons plus vivre ensemble… Je tâcherai de vous oublier ; mais, je vous en supplie, que je ne vous revoie plus ! — Et parlant ainsi, s’approchant à genoux de sa mère, elle se cramponnait à sa robe, tâchait de lui prendre les mains ; ces mains inflexibles la repoussaient, et sa tête battait le plancher. — Tu veux notre déshonneur, lui criait sa mère affolée. N’est-il pas écrit dans l’Évangile : malheur à celui par qui arrive le scandale ? — Et son père la repoussait aussi en lui disant : — Tout à l’heure tu as voulu me tromper. Où donc est ce Joseph ? où donc est ce scélérat, que je le tue sous tes yeux ?
Parmi les témoins de cette scène, il s’en trouvait un cependant qui, plus perspicace ou plus désintéressé que les autres, avait vu clair dans le procès et pris parti pour la bonne cause. C’était l’oncle Benjamin, lequel, ne pouvant plus commander à son indignation, se détacha brusquement de la console contre laquelle il était resté appliqué, et, s’avançant de deux pas, s’écria : — En vérité, mon frère, et vous, madame ma belle-sœur, qu’avez-vous fait de votre bon sens et surtout de votre cœur ? Quoi donc ! cette chère enfant, que nous connaissons tous pour un ange de bonté, de pureté et de droiture, ne réussira pas à vous attendrir ? Vous ne voyez pas que, si elle se tait, c’est qu’elle a trop à dire, qu’elle ne pourrait se défendre sans accuser ?… — Et regardant en face M. d’Ornis : — Mangez-moi des yeux, monsieur le comte, vous ne m’empêcherez pas de parler. Je ne suis qu’un humble coureur de cachets, pour vous servir ; mais je n’ai rien sur la conscience. Êtes-vous sûr d’en pouvoir dire autant ? M’est avis que les accusations que vous portez contre cette pauvre petite sont d’indignes calomnies, où l’on reconnaît un homme dont le cas est louche, et qui se hâte de brouiller l’eau de peur qu’on n’en voie le fond. Au surplus, je vous le déclare tout net, votre figure ne m’est jamais revenue, et s’il n’avait tenu qu’à moi, ma filleule ne serait pas aujourd’hui votre femme. Hélas ! on n’a pas voulu m’en croire. Nul n’est prophète dans sa famille, et la vanité n’a point d’oreilles.