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tout ceci, n’est-ce pas ? qu’une méprise, qu’un malentendu… Explique-lui tout ce qui s’est passé ; mais ne lui parle pas sur ce ton. Demande-lui pardon du chagrin que tu lui causes, mets-toi à genoux devant lui.

Elle se redressa de toute sa taille : — À genoux devant lui ! Cela m’est arrivé autrefois ; mais aujourd’hui !… Convenez vous-même, monsieur, que ce serait le monde renversé.

— Puisque tu refuses de parler, je parlerai pour toi ! reprit Mme Mirion, qui s’empara des deux mains de son gendre et les pressa sur ses lèvres dans l’attitude d’une suppliante… De grâce, pardonnez-lui, disait-elle ; je vous jure qu’elle est encore digne de votre amour. Elle a fait un coup de tête ; mais le cœur est bon. Ma fille aimer ce drôle ! Elle ne l’aime pas, vous dis-je ; elle se respecte trop. Si vous saviez dans quels principes nous l’avons élevée ! Elle n’a fait de sa vie une mauvaise lecture, jamais roman n’a pénétré dans cette maison… Il est possible que le malheureux se soit oublié à ce point de devenir amoureux d’elle. Il aura pris je ne sais quel prétexte pour l’approcher ; elle aurait dû l'éconduire, lui montrer du doigt le ruisseau où il est né. Elle est trop bonne, elle craint de faire de la peine aux gens, je l’ai bien souvent réprimandée là-dessus ; mais croire qu’elle puisse sentir quelque chose pour un ouvrier dont le père est mort à l’hôpital !… Je vous le répète, elle est innocente. Songez que cette chère enfant a été malade. Elle a encore la fièvre, elle n’a plus toute sa tête ; elle a fait une folie, une vraie folie. Elle vous expliquera toute l’affaire, et vous verrez qu’elle est bien moins coupable que vous ne pensez… Ah ! monsieur le comte, elle sait ce qu’elle vous doit, tout l’honneur que vous lui avez fait en lui permettant de porter votre nom ; elle a le cœur plein de vos bontés pour elle, et hier encore elle nous parlait de vous avec un respect, une affection… Est-ce vrai, ce que je dis là, malheureuse enfant ?…

M. d’Ornis mit fin à ce déluge de paroles en disant : — Je voudrais vous croire, madame ; mais après tout je ne suis pas un juge bien rigoureux. En attendant les explications qu’elle me doit, je ne demande qu’une chose à votre fille, c’est de repartir à l’instant même avec moi. Vous verrez qu’elle n’y consentira pas.

— Vous la calomniez ! s’écria Mme Mirion. Je voudrais bien voir…

— Retourner à Ornis ! interrompit Marguerite. Y retourner avec lui ! Jamais.

— Vous l’entendez, madame, dit froidement M. d’Ornis. L’exclamation de Marguerite avait produit sur l’assistance un désastreux effet. Mme Mirion poussa un cri déchirant, et son mari leva le bras en l’air comme pour maudire sa fille. La tante Amaranthe