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pour incompatibilité d’humeurs. J’ai confiance en moi, je me sens capable de recommencer à vivre. Il y a encore dans ce monde un soleil et des fleurs !… Mon brave Joseph, c’est à toi que je devrai mon salut. J’aurais déjà dû lui écrire. Il est sans doute de retour à Lyon, et il attend mes ordres… Je sais bien ce que je ferai pour le payer de ses peines. Je le ferai rentier dans cette maison qu’il a quittée pour moi et par mon ordre. On l’y traitera désormais comme il le mérite, non en subalterne, mais en ami. Mon père est bon et raisonnable ; il le mettra de part dans les bénéfices, et tout le monde y trouvera son compte. Ah ! que la société se porterait mieux, si grands et petits savaient comprendre leurs intérêts !

Ainsi raisonnait et rêvait Marguerite Mirion, qui cependant avait appris dans son enfance la fable de Perrette et du Pot au lait ; on la lui faisait réciter en robe rose, debout sur une chaise, tous les dimanches après midi, quand il y avait du monde à Mon-Plaisir. M. Mirion était tombé dans un morne silence ; il ruminait ses tristesses.

Comme la voiture venait d’entrer en ville et traversait la Place-Neuve, Marguerite dit à son père : — N’y aurait-il pas moyen de vous rapatrier avec ce pauvre Joseph ? Je me chargerais volontiers de lui faire entendre raison.

— Je ne sais que trop aujourd’hui, lui répondit-il, combien cet abominable garçon m’était utile ; mais je te jure qu’il ne rentrera chez moi qu’après m’avoir fait sa soumission et demandé pardon à deux genoux.

— Ce sera peut-être difficile à obtenir de sa fierté, répondit-elle.

— Sa fierté ! dis plutôt son insolence. C’est un monstre d’orgueil.

Marguerite n’insista pas, se réservant de reprendre plus tard l’entretien.

— Au surplus, ajouta son père, ce chagrin-là n’est qu’une misère à côté de celui que tu nous causes.

— Que je vous cause ? dit-elle d’un ton de reproche.

— Pardon, Margot ! Je voulais dire : que nous cause notre aimable gendre.

— Ayez bon courage. Il ne s’agit pas, comme le prétend maman, d’une question d’embonpoint ; mais vous verrez que tout se réduira en définitive à une question d’argent, et plaie d’argent n’est pas mortelle, n’est-ce pas ?

Il la regarda tendrement et lui dit : — Je donnerais volontiers mes deux mains et tout ce qu’il y a dedans pour t’entendre rire comme autrefois.

Marguerite quitta son père pour aller faire quelques emplettes qui lui étaient d’un besoin urgent, étant arrivée à Genève sans