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de 1789. La même période se manifesterait d’ailleurs, à en croire M. Renou, dans le renouvellement de quelques autres phénomènes, et notamment dans le retour de certains étés ; l’analogie des étés de 1753, 1793 et 1834 ferait donc supposer que nous aurons en 1875 un mois de juin assez froid, et de grandes chaleurs en juillet et août. Par malheur, cette périodicité est plus apparente que réelle, car, en examinant l’intervalle écoulé depuis 1830, on trouve cinq ou six hivers plus froids que celui de 1870.

Les grands froids de l’hiver dernier avaient été encore annoncés par M. de Tastes, dans une communication que ce savant fit à la Société météorologique au mois de juillet 1870. La théorie de M. de Tastes est fondée sur la considération des courans atmosphériques. On sait que des masses d’air chaud s’élèvent des régions équatoriales pour s’écouler vers les pôles, et qu’il en résulte en bas un tirage qui aspire l’air froid des régions polaires comme ferait une cheminée d’appel. La rotation de la terre modifie la direction de ces deux courans opposés : l’air qui se déverse de l’équateur vers le pôle nord produit les vents de sud-ouest, et celui qui revient du pôle vers la zone torride les alizés de nord-est. Ces vents forment au-dessus de l’Océan-Atlantique et du continent européen un vaste circuit, lequel correspond assez bien au courant appelé gulf-stream. Les fluctuations de ces deux courans, aérien et marin, produisent des variations considérables dans les caractères météorologiques des saisons. M. de Tastes pense qu’entre le circuit aérien de l’Atlantique et un circuit analogue qui se forme sur le Pacifique il existe autour du pôle une zone des calmes, véritable banquise aérienne dont les rives sont incessamment battues par les courans d’air plus chaud qui la côtoient. Cette zone se déplace du côté du courant qui a la moindre impulsion ; si c’est le courant de l’Atlantique qui faiblit, elle descend vers l’Europe et nous apporte un hiver rigoureux. Les symptômes de ce rapprochement s’étant manifestés dès l’été de 1870, M. de Tastes a pu prédire ce que serait l’hiver à venir.

Cette théorie offre plus d’un point faible ; ce qui est certain, c’est que la météorologie de l’Europe est dominée par la circulation atmosphérique et par la circulation marine correspondante, comme l’a fait voir M. Marié-Davy dans un travail intéressant sur les caractères de l’hiver de 1870-1871. Le grand régulateur du climat de la France et des pays voisins est le fleuve aérien, à lit variable, dont les deux branches équatoriale et polaire s’étalent à la surface de l’Europe comme vents de sud-ouest et de nord-est. C’est l’étude des fluctuations de ce courant qui forme désormais le problème capital de la météorologie rationnelle.


R. R.


C. BULOZ