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le consacre à faire solennellement de la petite politique brouillonne, car solennel, M. Quinet le sera toujours, c’est un pli d’enfance dont il n’a pu se défaire. A la tribune ou ailleurs, il a toujours la gravité majestueuse d’une conscience qui officie ; la majesté sied aux consciences, et depuis longtemps M. Quinet a déclaré qu’il était une conscience, qu’il ne voulait être autre chose, qu’il était la seule conscience vraiment consciencieuse du siècle. Je n’y trouve rien à redire, et je respecte infiniment les scrupules ; mais ce mot-là prête aux confusions, et plus d’une conscience qui se donne pour telle n’est qu’une mauvaise humeur aigrie et condensée qui s’érige en oracle et parle par apophthegmes.

J’ai entendu des admirateurs de M. Quinet se plaindre qu’il a parfois des silences singuliers. Ils auraient voulu savoir par exemple ce qu’il pense de la commune et des incendies de Paris, et ils lui demandaient d’en dire nettement son avis, comme l’ont fait MM. Louis Blanc et Gambetta. Si je ne me trompe, M. Quinet s’est tu sur ce point ou s’en est exprimé fort obscurément ; sans doute c’est distraction de sa part. Quand il consent à parler, il dit à merveille ce qu’il veut dire. C’est ainsi que naguère il a clairement expliqué par une lettre adressée à un journal pourquoi il rejetait la nouvelle loi sur les conseils-généraux. Sa principale raison est qu’aux termes de cette loi les conseillers-généraux ne seront point salariés : la gratuité des offices les rend inaccessibles à quiconque ne jouit pas de quelque fortune et de quelques loisirs, et crée ainsi en faveur des gens aisés un privilège que réprouvent tous les principes de 89 ; sur quoi votre excellente chronique politique remarquait fort justement que, si l’on paie les conseillers-généraux, il faut payer aussi les conseillers municipaux, et, sous peine d’inconséquence, les électeurs eux-mêmes, qui ont l’ennui de se déranger pour porter leur vote dans l’urne. Toutefois, avant d’introduire cette utile réforme, il conviendrait peut-être d’attendre que le Prussien soit payé. Serait-il donc vrai que certains radicaux pensent à tout, sauf à M. de Bismarck, lequel pourtant n’est pas homme à se laisser longtemps oublier ?

La fréquente dissolution des assemblées et l’abolition de tous les offices gratuits, ces deux points se tiennent dans l’esprit des radicaux. Niveler et agiter, voilà leur devise ; leur science se résume en ces deux mots. Nous en savons quelque chose, nous autres Suisses. Le radicalisme nous a rendu autrefois de réels services, que nous n’aurions garde de méconnaître ; il nous a délivrés d’un conservatisme honnête, mais étroit, dont les préjugés se prêtaient difficilement aux réformes, résistaient opiniâtrement à toutes les nouveautés. Par malheur, à ce radicalisme utile, représenté par des hommes intelligens, a succédé un radicalisme de cabaret, qui n’a pas d’autre ambition ni d’autre souci, comme je vous le disais, que de tout niveler et de toujours s’agiter en agitant les autres. Il est une ville de Suisse où l’on s’occupe aujourd’hui