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faite, il n’y a que demi-mal, et des pétitions qui n’ont d’autre résultat que de faire prospérer les cabarets ne sont pas un danger mortel.

Sur quoi se fondent-ils, ces pétitionneurs, pour demander à l’assemblée de se dissoudre ? Ils lui représentent qu’elle a été élue pour conclure la paix, que la paix est conclue, que partant il ne lui reste plus qu’à s’en aller. Ce raisonnement ne nous paraît point irréprochable. Est-il donc vrai que la paix soit faite, que le Prussien soit sorti de France ? Il en sortira quand, on l’aura payé, et pour le payer il faut de l’argent, hélas ! beaucoup d’argent. Apparemment le corps électoral s’en doutait en février, et il a entendu conférer à ses mandataires le droit ou, pour mieux dire, leur imposer le devoir de procurer au gouvernement toutes les ressources nécessaires à l’exécution du traité. Il est vraisemblable aussi qu’en nommant une assemblée chargée de lui rendre la paix, la France désirait que cette assemblée réparât, autant qu’il était en elle, les désastres de la guerre, qu’elle travaillât avec le gouvernement de son choix au rétablissement de l’ordre, qu’elle remît sur pied le pays et prît toutes les mesures que réclamait sa sûreté. Cette œuvre de réparation, l’assemblée nationale est loin de l’avoir terminée, et personne ne saurait affirmer sérieusement qu’elle excède son mandat en examinant et modifiant les nouveaux projets d’impôts que lui soumet le pouvoir exécutif, en élaborant une loi militaire, en préparant et votant d’importantes réformes dont la défaite a fait sentir la nécessité, et qui prouveront à l’Europe que la France n’a pas traversé l’école du malheur sans y rien apprendre et sans y rien oublier.

Le patriotisme des pétitionneurs nous paraît être en défaut comme leur bon sens. Se souviennent-ils en vérité que le Prussien est toujours là, qu’on a bien des comptes encore à régler avec lui ? Il faut se défier des querelles d’Allemand, dit le proverbe ; ce proverbe n’est pas un vain mot. Que de subtiles chicanes, que de captieuses difficultés, n’essuiera pas la France avant d’obtenir la complète libération de son territoire ! Et n’est-ce pas le premier de ses intérêts d’éviter avec soin tout incident que pourrait exploiter au profit de ses exigences un vainqueur retors et processif ? En bonne foi, les radicaux pensent-ils que, si la dissolution les mettait en possession du pouvoir, la Prusse leur serait plus complaisante ou plus indulgente qu’elle ne l’est à M, Thiers et à son gouvernement ? Ne croient-ils pas comme nous qu’elle profiterait de l’occasion pour accroître ses prétentions, pour manifester sans contrainte ses méfiances, l’âpreté de sa morgue, ses éternelles rancunes, que n’a pu désarmer la victoire ? M. de Bismarck, assure-t-on, a dit un jour : « Nous aurions fait une mauvaise affaire, si nous laissions derrière nous une république habitable. » Il est certain qu’à la longue une république honnête, modérée et prospère causerait à Berlin des déplaisirs, et lui créerait des dangers capables d’effacer dans son cœur les joies de Wœrth et de Sedan ; mais, si Berlin peut désirer de réduire la France à l’impuissance en