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CORRESPONDANCE

A M. LE DIRECTEUR DE LA REVUE DES DEUX MONDES.

Bâle, 12 septembre.

Monsieur,

L’assemblée nationale n’a point démenti les prédictions de ceux qui avaient foi en sa sagesse. Si elle n’a pas voté précisément la proposition Rivet, ce qu’elle a voté s’en rapproche beaucoup. Elle a changé l’étiquette du sac ; mais ce qui importe aux gens sérieux, ce n’est pas ce qu’on écrit sur un sac, c’est ce qu’il y a dedans. Il est vrai qu’en accordant quelque chose au gouvernement l’assemblée a tenu à s’accorder quelque chose à elle-même : elle s’est proclamée assemblée souveraine, et s’est attribué en cette qualité le pouvoir constituant. La différence est grande toutefois entre un droit qu’on s’attribue et un droit qu’on exerce. Il n’y a guère que les jeunes assemblées qui aient l’humeur constituante ; à mesure qu’elles vieillissent, elles sont moins disposées aux grands efforts, moins amoureuses des grandes responsabilités ; elles sentent toujours plus qu’elles ont à compter avec les événemens, qui sont leurs maîtres, et avec les électeurs, qui sont leurs juges. — On nous met en demeure d’écrire un chapitre du livre, s’écriait l’un des membres les plus spirituels de la majorité ; nous nous proposons d’écrire le livre tout entier. — Fort bien ; mais en attendant le premier chapitre est fait et publié, et, à supposer que les autres soient écrits dans le même style, ce n’est pas le centre gauche qui s’en plaindra. Si vous me pardonnez la familiarité de cette comparaison, la majorité vient de pondre un œuf de poule, en se réservant le droit de le couver et d’en faire éclore un canard. Un naturaliste de mes amis, à qui j’ai soumis le cas, prétend que c’est impossible. Je ne vais pas si loin, je crois aux miracles en politique ; seulement il en est de fort difficiles, et, pour vous dire là-dessus toute ma pensée, non-seulement je souhaite que celui-ci ne se fasse point, mais il me paraît désirable que ni l’assemblée nationale ni celles qui lui succéderont ne fassent usage de leur droit de constituer. La France a déjà fait et défait tant de constitutions ! C’est de bonnes lois qu’elle a besoin, et de bien meubler sa. maison, non de la démolir et de la rebâtir à tout coup. Son avenir serait assuré, si elle se décidait à en finir à jamais avec les constitutions et les révolutions.

Pour en revenir au présent, on demandait à l’assemblée d’affermir la situation de M. Thiers en lui conférant le titre de président de la république, et en prorogeant ses pouvoirs. Depuis le commencement de ce mois, la république a un président, et les pouvoirs de ce président dureront, selon toute vraisemblance, aussi longtemps que l’assemblée