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dans sa pensée ; il faut, en un mot, que chez les deux gouvernemens il y ait un sentiment assez énergique de l’intérêt commun, une volonté assez ferme pour refouler toutes ces passions, tous ces préjugés qui tendent obstinément à créer une animosité tapageuse là où la bonne intelligence devrait seule exister.

Ce qu’il y a d’étrange en effet, c’est que des deux côtés des Alpes, en dehors des gouvernemens, il y a des hommes et même des partis perpétuellement occupés à souffler la guerre entre ces deux nations que rien ne devrait séparer. Écoutée ce que disent certains journaux de Florence ou de Rome : ils passent leur temps à représenter la France comme n’ayant d’autre pensée que d’attaquer l’Italie, de revenir à Rome, et, qui sait ? de préparer peut-être quelque débarquement on ne sait où. La conclusion est qu’il faut s’armer, se fortifier, s’allier au plus vite avec la Prusse. Revenez en France, écoutez ce que disent certaines gens : l’Italie est notre ennemie, elle est la vassale de la Prusse, elle ne songe qu’à profiter des circonstances pour nous reprendre Nice et la Savoie, comme elle a pris Rome au pape. Il faut s’attendre à tout, et se lancer provisoirement dans une campagne diplomatique pour le pouvoir temporel. — On dirait que les uns et les autres ne sont contens que lorsqu’ils croient voir monter à l’horizon quelque orage qui va éclater entre les deux pays. N’avez-vous pas vu, tout récemment un certain nombre de journaux répéter sous toutes les formes que décidément les relations de la France et de l’Italie étaient fort tendues, que le ministre du roi Victor-Emmanuel à Paris avait eu avec le chef du pouvoir exécutif à Versailles une conversation des plus vives, une véritable altercation ? Et ceux qui ont répandu ces histoires ne se sont pas même demandé s’il y avait le plus léger prétexte. Non, cela plaisait sans doute à certaines passions, et ils l’ont dit, lorsqu’il n’y avait rien de vrai.

Il faudrait pourtant prendre garde. Ah ! les journaux, certains journaux ne savent pas tout le mal qu’ils nous ont fait, et qu’ils continuent à nous faire par la futilité de leurs déclamations, par la légèreté avec laquelle ils lancent dans le monde toute sorte de nouvelles. Que de fois ils ont donné depuis un an des armes à nos ennemis, qui s’en servent avec une dextérité aussi perfide que meurtrière ! Puisqu’ils parlent si souvent de préparer la régénération et de faire l’éducation de la France, ils devraient commencer par se discipliner eux-mêmes, et par traiter plus sérieusement nos malheureuses affaires, ne fût-ce que pour éviter de dire quelquefois des choses dont nos ennemis s’amusent, qui peuvent desservir cruellement le pays dans ses intérêts, dans sa dignité.

CH. DE MAZADE.