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somme de près de 250 millions de francs représentée par des obligations portant intérêt à 7 ½ pour 100, qui n’auraient dû lui être remises qu’à mesure de l’achèvement des travaux, et qu’il a déjà placées un peu partout, principalement en Allemagne. Maintenant le parlement de Bucharest refuse de payer plus qu’il ne doit, il ne veut rester garant de l’intérêt des obligations, émises on ne sait comment, que dans la proportion des travaux achevés ; mais M. Strousberg a su, se créer de puissans patronages à Berlin. Il a fait son entreprise en bonne compagnie, il a de plus avec lui tous les porteurs d’obligations, qui crient comme des actionnaires lésés, et M. de Bismarck, qui entend désormais pratiquer pour tous les Allemands dispersés dans le monde le civis romanus sum, M. de Bismarck prend en main cette affaire ; il réclame à Constantinople l’intervention du pouvoir suzerain pour contraindre les principautés à payer. La situation d’un Hohenzollern régnant en ce moment à Bucharest n’est pas commode ; le parlement roumain résiste, la Turquie renvoie la Prusse à l’article du traité de 1856 qui défère à un arbitrage européen toutes les difficultés relatives aux principautés ; l’Autriche plus que toute autre puissance est intéressée à ce qui se passe sur le bas Danube, plus que personne elle est intéressée à éloigner les complications de nature à troubler la paix de l’Orient, et voilà simplement la question qui se débat à Gastein.

Quelle erreur ! dit un autre, il ne s’agit pas des chemins de fer roumains, il s’agit de l’Allemagne. Ne voyez-vous pas que depuis quelque temps l’Allemagne, si victorieuse qu’elle soit, si orgueilleuse qu’elle paraisse, est livrée à toute sorte d’agitations morales, religieuses et même sociales ? Le dernier concile de Rome et le dogme de l’infaillibilité ne semblent pas produire un grand effet dans le reste de l’Europe ; ils remuent tous les esprits allemands. Ils ont déjà provoqué en Bavière la chute du président du conseil, M. de Bray, qui a été remplacé par M. d’Heynenberg, ils suscitent les luttes les plus graves entre l’archevêque de Munich, fidèle au pape infaillible, et des ecclésiastiques éminens comme M. Dœllinger, M. Friedrich, qui sont soutenus dans leur résistance au dogme nouveau par l’université, par le conseil municipal, par le ministre des cultes, M. de Lutz. En Saxe, mêmes conflits entre l’autorité publique et les prélats qui se sont soumis au saint-siège. En Prusse, le pouvoir civil maintient les professeurs, les instituteurs, que les évêques proscrivent, et le gouvernement semble considérer le dogme de l’infaillibilité comme une innovation qui altère les fondations des anciens concordats. En Autriche même, jusqu’à Vienne et en Hongrie, les protestations de M. Dœllinger et des adversaires de l’infaillibilité ont de l’écho. C’est une guerre d’excommunications et de contre-excommunications. Les évêques orthodoxes se réunissent à Fulda, le parti qui refuse de reconnaître l’infaillibilité et qui s’appelle lui-même le parti des « vieux catholiques » va se réunir dans quelques jours à Munich. Qui sait ce qui peut sortir d’une