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ritable négligence dans la préparation ou dans le vote des lois, si bien qu’on finira bientôt par ne plus s’y reconnaître, — et ce sera encore la faute du régime parlementaire ! Mais peu importe, on a rédigé une loi obscure qui dira tout ce qu’on voudra ou qui ne dira rien ; ce qui est trop clair, c’est qu’on veut rester à Versailles, et qu’on pense faire une grande concession en n’expropriant pas définitivement Paris de son rôle de capitale de la France.

Il y a quelque chose de plus effrayant encore, c’est la confiance presque naïve avec laquelle on croit pouvoir bouleverser toutes les conditions historiques, économiques, morales d’un grand pays. Est-ce bien sérieusement qu’on se figure en avoir fini avec toutes les révolutions en se tenant à distance de Paris ? Assurément rien n’est plus juste, rien n’est plus politique que de ne point vouloir qu’un peuple tout entier soit à la merci des caprices tumultueux de sa capitale, qu’il reste exposé à recevoir périodiquement des révolutions par le télégraphe. Si ce n’est que cela, il suffit qu’on prenne quelques précautions et qu’il y ait un gouvernement, car enfin quelle est la révolution qui a réussi, même à Paris, lorsqu’il y avait un gouvernement décidé à se défendre ? Qu’on adopte, comme en Angleterre, des mesures pour mettre les assemblées à l’abri des assauts de la multitude ; qu’on neutralise la prépondérance de Paris par le développement de l’esprit politique en province ; qu’on vote, si l’on veut, cette proposition de M. de Tréveneuc qui veut que, dans le cas d’une dissolution violente de l’assemblée, les conseils des départemens prennent aussitôt la direction des affaires. Au-delà, on cède à un effarement tout provincial et presque ridicule. En découronnant Paris, c’est la France elle-même qu’on atteint plus qu’on ne le croit. Paris souffrira sans nul doute, la France tout entière en ressentira le contre-coup, parce que Paris n’est pas seulement la capitale politique ; c’est la capitale économique, financière, intellectuelle, c’est le foyer vivace de cette sociabilité française qui a illuminé le monde, qui se répand partout. Le gouvernement n’était point à Paris autrefois, dit-on ; effectivement c’était ainsi autrefois, cela ne doit plus être ainsi aujourd’hui, parce que tout a changé dans notre organisation politique comme dans nos mœurs, et ce qu’on tenterait par un déplacement si violent et si brusque de toute notre vie publique, ce serait tout simplement une révolution en arrière.

Franchement l’assemblée a besoin de sortir un peu de cette atmosphère factice où elle vit depuis sept mois, et d’aller prendre un peu de repos, ne fût-ce que pour se remettre en contact avec le pays. Ce n’est pas l’envie d’aller en congé qui lui manquait ; M. Thiers lui-même vient aujourd’hui en aide à son désir en lui adressant un éloquent message où il lui conseille de prendre des vacances. Sous une forme vive et nette, ce message est le plus habile exposé de la situation de la France, de ce qui a été fait jusqu’ici, de ce qui reste à faire. M. Thiers dit que