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unique avantage de ce qui a été fait l’autre jour. On n’a pas transformé un régime provisoire en régime définitif, on n’a pas disposé d’un avenir dont nul n’a le secret ; on s’est fixé un peu plus dans une situation qui offrait de suffisantes garanties, on a dégagé notre politique de ce qu’elle avait d’absolument précaire en donnant au pouvoir exécutif un caractère un peu plus permanent, une durée proportionnée à celle de l’assemblée elle-même, et, puisque la question se présentait ainsi, la solution n’avait rien que de simple et d’acceptable. Mieux valait assurément sanctionner sans arrière-pensée cette modeste transformation du pouvoir que de se jeter dans d’irritans débats où l’esprit de parti a eu quelquefois plus de place que le sentiment de l’intérêt public, et de finir par un décousu de votes qui, sans rien empêcher, n’a fait que mettre en pleine lumière ce qui peut entrer de confusion dans une trop nombreuse assemblée.

Chose curieuse en effet que ce scrutin multiple du 31 août : les uns ont voulu donner un témoignage personnel de confiance à M. Thiers, mais ils ont refusé de voter les articles qui le faisaient président et organisaient l’ordre nouveau ; ceux-ci ont bien voulu sanctionner la partie de la proposition qui reconnaissait le pouvoir constituant de l’assemblée, mais ils ont repoussé les autres dispositions. Il en est qui ont voté la loi dans quelques-uns de ses détails pour la rejeter dans son ensemble. Le décousu a été complet, et en fin de compte, quand on y regarde d’un peu près, on voit se dessiner à travers cette confusion étrange une situation parlementaire qui reste presque invariable, qui reparaît dans toutes les circonstances décisives. La fraction de l’assemblée qui a voté la proposition, comme elle a voté et comme elle votera bien d’autres choses, c’est toujours cette masse peu bruyante, sensée, bien intentionnée, très perplexe quelquefois, mais sensible aux considérations de bien public, ennemie des crises violentes. Ceux qui ont cru pouvoir se passer leurs fantaisies, ce sont toujours ceux qui vont aux extrémités, et qui, sous prétexte de se renfermer dans l’absolu des principes, ne cèdent le plus souvent qu’à l’esprit de parti. L’extrême droite a repoussé la proposition parce qu’elle affirmait trop la république, l’extrême gauche l’a rejetée parce qu’elle ne l’affirmait pas assez. Légitimistes et radicaux se sont rencontrés fraternellement dans le vote négatif ou dans l’abstention, et l’armée des abstenans n’a pas laissé en vérité d’être nombreuse ; elle a même compté plus que des légitimistes et des radicaux, et c’est là peut-être un fait de nature à causer quelque surprise, car enfin, si ceux qui se sont abstenus avaient un gouvernement à offrir à la France, ils étaient tenus de le dire ; s’ils n’avaient aucun gouvernement à offrir, ils devaient au moins avoir une opinion sur les divers modes d’organisation du pouvoir actuel, et, s’ils n’avaient point une opinion à soutenir de leur vote, s’ils n’avaient que des répugnances ou des hésitations, que représentent-ils ? Pourquoi sont-ils dans l’assemblée ? Qu’arriverait-il donc, si dans chaque question grave une fraction