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mérite. La foule des salariés à traitement fixe s’évanouira ; on n’aura plus le douloureux spectacle, à des époques de désastre, de ces privilégiés de la fortune que les révolutions et les guerres ne privent pas d’un centime de leur revenu. Quiconque émarge au budget sera associé aux fluctuations de la fortune publique, et si quelques-uns en obtiennent une rémunération supérieure à ce que l’on voit aujourd’hui avec envie, chacun saura que c’est la rémunération d’un labeur consciencieusement accompli.

Quant aux pensions de retraite, qu’est-il besoin que l’état s’en occupe ? Les compagnies d’assurances sur la vie constituent, contre paiement d’une prime annuelle, des rentes viagères différées avec ou sans abandon de capital. Leurs conditions sont plus élastiques que les règles étroites de la caisse de retraites instituée par la loi de 1853. Leurs tarifs sont assurément plus favorables aux assurés. Les compagnies ne font pas volontiers de petites assurances, a-t-on dit ; c’était une lacune au détriment de la classe qui a le plus besoin d’être excitée à l’épargne. On y a remédié en créant la caisse des retraites pour la vieillesse, dont sont tributaires aujourd’hui quantité d’employés des chemins de fer ainsi que plusieurs catégories des plus infimes serviteurs de l’état, les cantonniers entre autres. Cette caisse conviendrait aux petits traitemens, tandis que les gros iraient aux compagnies d’assurances. Serait-il nécessaire de rendre l’assurance obligatoire ? Oui, pendant quelques années encore ; fonctionnaires et employés ont été si bien façonnés à recevoir l’impulsion, qu’il s’écoulerait un peu de temps avant que chacun ait pris l’habitude de songer à ses propres affaires.

Remis en pleine possession de son individualité, poussé au travail par la certitude d’un salaire proportionnel au labeur, libre de se retirer avant l’âge climatérique de soixante ans, si l’aisance acquise, la fatigue ou les infirmités lui font désirer le repos, le fonctionnaire de l’état ne sera-t-il point dans une position meilleure ? D’autre part, l’état ne gagnera-t-il pas à n’être servi que par des employés contens de leur sort ? Le budget surtout y gagnerait. Les ministres des finances qui se succèdent reconnaissent l’un après l’autre l’inanité de chercher des économies par la réduction des traitemens ; mais aucun d’eux n’a proposé encore de réduire la dépense en modifiant le régime administratif[1]. Cette voie est neuve, obscure, si l’on veut. Il serait fâcheux que l’état n’en fît

  1. On a souvent parlé de diminuer le nombre des employés et d’augmenter par là le salaire de ceux qui seraient conservés. Pure illusion, a moins que l’on ne fixe en même temps la dépense totale des salaires à un chiffre immuable, ce qui est impossible ! Le remède n’aurait qu’une efficacité temporaire. Avant dix ans, les sinécures auraient reparu, les emplois supprimés auraient été rétablis ; il ne resterait de cette réforme que l’accroissement des dépenses.