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Quand les hommes qui gouvernent la France voudront entreprendre sérieusement cette réforme, aussi importante pour l’économie de notre budget que pour la bonne gestion de nos affaires, les modèles ne leur manqueront pas. Ils n’auront qu’à faire simplement ce que font les industriels et les négocians, ou à imiter les propriétaires fonciers ; ce qui nuirait à un particulier ne peut être un bien pour l’état. Au surplus, si le mal ne date pas d’hier, il y a longtemps aussi que le remède a été signalé par les meilleurs esprits. Condorcet a écrit quelque part cette phrase, qui est toujours vraie : « dans les manufactures libres, l’intérêt du commerçant suffit ; pour qu’il veille à la perfection de ses denrées, et cet intérêt est le meilleur et le plus sûr de tous les inspecteurs. »

Qu’y a-t-il à faire pour en arriver là ? D’abord et avant tout abroger les dispositions légales qui soustraient à la loi commune de responsabilité les actes des fonctionnaires et employés de l’état, par compensation les relever de l’incapacité civile que certaines lois leur infligent, puis les habituer à calculer, comme on le fait dans le commerce et dans l’industrie, le prix de revient de chaque chose. Toute affaire publique ou privée, politique ou sociale, économique ou industrielle, se prête à un calcul de profits et pertes. De tous les principes qui ont contribué à la grandeur de l’Angleterre, le plus actif est peut-être le tant pour cent, que les Anglais désignent par un mot, percentape, qui n’existe pas dans les autres langues. Ces négocians habiles cherchent partout le calcul du tant pour cent ; ils sont en ce sens les Juifs de l’époque. Que si l’on m’objecte que la politique dictée par ce principe n’aboutit en ce moment qu’à des humiliations dont nous autres Français ne voudrions pas au prix des plus grands malheurs, je répondrai que l’usage seul est utile, et que l’abus n’est pas à craindre de la part d’une nation chevaleresque qui n’est que trop portée à sacrifier ses intérêts matériels à son honneur.

Ici, il convient de préciser : mais d’abord que l’on ne s’étonne pas trop de voir les intérêts de l’état qui nous tiennent le plus à cœur réduits aux simples proportions des affaires d’argent. C’est par une conséquence naturelle que l’argent est devenu la commune mesure de toutes choses. Les affaires publiques aboutissent toutes au budget, qui est alimenté par l’impôt. L’impôt n’est pas seulement proportionnel à la population ; il l’est aussi à ses besoins physiques et moraux, à son développement intellectuel. C’est par une question d’argent que se résument toutes les affaires de ce monde, c’est par là qu’elles se traduisent en nombres. « Si les nombres ne gouvernent pas le monde, a dit Goethe, ils montrent comment le monde est gouverné. »