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désintéresser des occupations que chaque jour ramène uniformes. S’il acquiert en outre la conviction que la conséquence de ses actes lui passe au-dessus de la tête pour aller atteindre de plus élevés que lui, il perd la conscience de son individualité. Il ne devient rien de plus que l’un des engrenages de la machine officielle. Il est à peine quelque chose ; il n’est plus quelqu’un.

Le traitement fixe, qui est la règle ordinaire dans les administrations de l’état, présente le grave inconvénient de n’être proportionné ni à la quantité ni à la qualité du travail accompli. Il en est résulté avec le temps cette conséquence assez inattendue, que le gouvernement se croit dupé quand un même individu cumule deux emplois, deux traitemens. C’est presque un aveu que certains emplois sont des sinécures, et que certains traitemens sont trop élevés pour les services qu’ils rémunèrent. Autrement on n’aurait de souci que de les donner au plus capable, au plus laborieux, sans craindre que l’une de ces fonctions ne nuise à l’autre, et l’on ne se préoccuperait pas plus de restreindre les occupations d’un employé du gouvernement que celles de tout autre citoyen. L’intérêt supérieur de la société, qu’il n’est pas permis de négliger, exige que chacun travaille autant qu’il en est capable. Astreindre toutes les intelligences à la même dose de travail est une loi qui ne profite pas plus à l’état qu’à l’individu.

Le législateur qui s’est occupé des fonctionnaires publics pour leur enlever des droits politiques et pour leur interdire, sous le nom de cumul, la faculté d’exercer plusieurs fonctions à la fois, le législateur ne les a pas mieux traités en réglant leurs pensions de retraite. La loi du 9 juin 1853, qui s’occupe de ce sujet, est un exemple curieux de l’influence que les théories socialistes exercèrent sur les esprits qui s’en croyaient le plus exempts à l’époque où ces théories étaient le plus combattues. Quel est le principe des assurances sur la vie ? Que les souscripteurs mettent en commun les chances aléatoires seulement, à savoir les risques de mort, mais que chacun retire du fonds commun, soit en capital, soit en rente viagère, une somme proportionnelle à sa mise. Les caisses d’assurances n’ont jamais eu ni pu avoir la prétention de balancer les inégalités des positions sociales. Elles n’ont pas davantage le droit de priver leurs adhérens des titres qu’ils ont acquis, à moins qu’ils n’y renoncent de leur plein gré ou par leur propre négligence. La caisse de retraite, gérée par l’état au profit de ceux qu’il rétribue, agit tout autrement. L’employé qui encourt la peine de la révocation perd en même temps le fruit de ses économies ; l’état les lui confisque, en sorte qu’au moment d’éliminer un subalterne infidèle ou négligent, on se sent retenu par une considération étrangère