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médecins civils, adoptés par la charité compatissante des femmes de tout âge et de toute condition.

Les torts du maréchal Bazaine envers Metz sont inexcusables ; ses torts envers l’armée ne sont pas moins grands, quoiqu’on ait essayé récemment de plaider en sa faveur les circonstances atténuantes. En voyant les soldats défendre avec tant de courage la société, en reconnaissant parmi eux des combattans de Rezonville et d’Amanvillers, quelques personnes se sont demandé, dans un premier élan de gratitude irréfléchie, si après tout la capitulation de Metz ne nous avait pas rendu le service essentiel de sauver l’armée de l’ordre. Cette illusion même n’est pas permise. Une capitulation telle que celle du maréchal Bazaine, précédée de longs jours d’attente, de souffrances physiques et morales, suivie des plus cruelles épreuves, fait plus de ravages parmi les troupes que plusieurs jours de combats acharnés. Il en eût coûté moins cher aux soldats de livrer de sanglantes batailles pour se frayer un passage à travers les lignes ennemies, ou pour contraindre les assiégeans à lever le siège, que de languir dans l’inaction, de s’user en détail par le découragement, la famine et la maladie, de se traîner mourans de faim sur les routes de l’Allemagne, d’être poussés en avant à coups de crosse de fusil, de subir les privations et les mauvais traitemens qui attendent les prisonniers. A Metz même, les maladies produites par l’encombrement des troupes, par leur mauvaise installation sous les pluies d’automne, la petite vérole, la fièvre typhoïde, la dyssenterie, emportèrent autant de monde qu’il était tombé de morts sur tous les champs de bataille depuis le commencement de la campagne, depuis le 2 août jusqu’au 7 octobre, depuis le combat de Saarbrück jusqu’à celui de Saint-Remy. Dans ces divers engagemens, d’après les relevés officiels, 3,704 hommes avaient été tués ; dans les hôpitaux et dans les ambulances de Metz, il mourut 3,574 malades non blessés du 15 août jusqu’au 31 décembre. Au premier de ces chiffres, il faut ajouter sans doute les 2,851 blessés qui moururent dans la ville des suites de leurs blessures ; mais quel nombre énorme n’ajouterait-on pas au second, si l’on savait exactement combien de prisonniers déjà exténués par les privations antérieures sont morts de fatigue ou de faim, pendant les marches forcées auxquelles on les condamnait, combien sont tombés dans la boue du bivouac sans pouvoir se relever, combien ont été fusillés pour n’avoir pu continuer leur route, combien pour avoir voulu s’échapper, combien ont succombé en Allemagne à la nostalgie et à la misère ! Dès la première nuit, sur quelques milliers d’hommes qui campaient à Ars-Laquenexy, près de Metz, on releva 110 cadavres. Ce n’était que le commencement du