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de 10 en octobre. On va même jusqu’à vouloir enlever aux enfans, aux malades, les vaches laitières enfermées dans la ville pour les attribuer aux besoins des troupes. Le maire et les adjoints n’obtiennent le retrait de cette mesure qu’en menaçant de donner leur démission. La viande de cheval subit à son tour une élévation croissante, provoquée par la concurrence que se font sur le marché les fournisseurs de l’armée et les bouchers de la ville. Par la suite, il est vrai, l’armée cède des chevaux à la ville, mais c’est lorsqu’elle ne peut plus les nourrir, et que le nombre des bêtes abattues chaque jour suffit à ses besoins. A partir du moment où la ration du pain des soldats fut réduite à 500 grammes, on ne put empêcher que cette mesure nécessaire n’enlevât à la cité une partie notable de ses ressources. Les soldats allaient à Metz chercher chez les boulangers le complément de ration qui leur manquait. On finit par leur interdire d’entrer en ville avant l’heure où les boulangeries se fermaient ; mais des intermédiaires de toute sorte achetaient des provisions de pain qu’ils revendaient ensuite avec bénéfice dans le camp retranché.

Le 13 octobre, un conflit plus grave que tous les précédens éclatait entre le conseil municipal et le commandant supérieur de la place. Le général Coffinières, qui dans sa réponse à ses détracteurs prétend avoir toujours cru au départ prochain de l’armée, mais qui dans ses communications officielles ou officieuses insistait volontiers sur les services que l’armée rendait à la ville en la préservant d’un bombardement, annonça que les approvisionnemens des troupes touchaient à leur fin, et prescrivit de verser dans les magasins militaires toutes les denrées découvertes et saisies chez les particuliers par la voie des réquisitions. La lettre par laquelle il notifia cette résolution à la municipalité était conçue en des termes sévères, presque menaçans, comme s’il prévoyait une résistance qu’il était décidé à briser. « Dans les circonstances critiques où nous nous trouvons, disait-il, toutes nos ressources doivent être mises en commun, et je ne saurais penser qu’il fût nécessaire de recourir à la force pour établir cette égalité entre tous. » Le conseil obéit en manifestant sa surprise d’apprendre si tard et sous cette forme l’épuisement des vivres de l’armée. Aucune communication ne lui avait été faite auparavant à ce sujet, et, quoiqu’il fût averti par bien des indices de la détresse des soldats, il hésitait à croire qu’on se fût laissé acculer à de si dures extrémités avant de tenter au moins un effort énergique pour se dégager. Une enquête révélait quelques jours après qu’il restait encore à l’armée des réserves cachées, et une délibération très ferme du conseil municipal obligeait le général Coffinières à rapporter sa décision. Vit-on jamais dans l’histoire des