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non-seulement l’état de siège les déchargeait de toute responsabilité en les dépouillant de toute initiative, en ne leur laissant que le droit d’activer les mesures prescrites par l’autorité militaire, mais la rapidité de l’invasion leur eût enlevé, si elles avaient essayé d’approvisionner la ville, tous les moyens de le faire. Il leur eût fallu des soldats pour aller chercher des vivres sous la lance des uhlans, qui, dès le 8, battaient le pays. Dans ces conditions, le ravitaillement de Metz n’était plus une opération de commerce ; c’était une pure opération militaire qu’il n’appartenait qu’aux chefs de l’armée d’ordonner et de faire réussir. Le conseil municipal de Metz, que le maréchal Bazaine accuse indirectement de n’avoir pas fait alors tout son devoir, pourrait lui renvoyer le reproche avec plus de justice. Peut-être même plus d’une fois le commandant en chef de l’armée du Rhin eût-il mieux aimé que les représentans de la cité messine fussent plus indifférens à la chose publique. L’histoire de leurs rapports avec le quartier-général est en effet celle d’une lutte journalière où, sans sortir de la réserve qu’une situation si grave imposait nécessairement à la population civile, ils défendent pied à pied les intérêts des habitans contre les empiétemens de l’autorité militaire. Les circonstances transforment en ennemi de la cité celui qui aurait dû la défendre et se dévouer pour son salut. Aux yeux du maréchal Bazaine, l’armée est tout, la ville n’est rien ; pourvu que l’armée ait le nécessaire, peu lui importe si les habitans et la garnison ont le leur. A chaque instant, il prend des mesures qui diminueraient les ressources de la forteresse au profit des soldats, si le conseil municipal ne l’obligeait à les rapporter. Il ne se contente pas de vivre aux dépens de la cité ; il en épuiserait sans scrupule les approvisionnemens pour augmenter ceux de l’armée. Il faut dès le mois d’août une démarche de l’autorité civile pour empêcher l’intendance d’acheter des grains sur le marché de Metz et de tarir ainsi les ressources locales. Plus tard, lorsqu’on ordonne des réquisitions chez les particuliers pour mettre en commun les réserves de tous, l’armée se procure encore une certaine quantité de blé au détriment de la ville en le payant à ceux qui le détiennent un prix supérieur au tarif municipal. Les officiers d’administration en offrent 45 francs le quintal pendant que le conseil ne le paie que 36 francs. Un autre jour, l’intendance requiert pour son service exclusif tous les moulins de la place ; la municipalité n’obtient qu’avec peine de conserver dix paires de meules sur vingt-sept. Le bétail a été si promptement accaparé pour les besoins de l’armée, que, dès l’origine du blocus, la viande de bœuf s’élève au prix de 2 francs 50 cent, le kilogramme, pour atteindre dans les premiers jours de septembre le prix de 4 francs, et celui