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avec nos troupes entre les mains de l’ennemi. Le maréchal Bazaine se consolait d’une si grande perte en annonçant, comme si l’avenir.. dépendait de lui, que la place et l’armement feraient retour à la France lorsque la paix serait signée : paroles cruelles que les Messins ne se rappelleront jamais sans amertume ! Cette paix, dont celui qui devait la rendre si désastreuse parlait avec tant d’assurance, donnait Metz à la Prusse, et remettait en liberté l’homme qui avait perdu Metz. La cité messine se considère justement comme la victime la plus sacrifiée et la plus à plaindre de toute la guerre. On s’est abrité sous ses murailles, on a vécu de ses ressources, on a épuisé ses vivres, sans la consulter, sans faire droit à ses réclamations, sans témoigner pour son sort la moindre sollicitude ; le jour où l’on a eu tiré d’elle tous les services qu’elle pouvait rendre, on l’a livrée à l’ennemi, qui l’a gardée. L’armée du moins, après tant d’épreuves, retrouve aujourd’hui le sol de la patrie ; Metz, dépouillé de sa nationalité, arraché du sein de la France, n’ose sonder l’avenir et se retourne avec désespoir vers le passé ; beaucoup n’y peuvent croire encore à la réalité de leur malheur, quelques-uns en étudient passionnément les causes. Toute l’activité intellectuelle de la cité se concentre sur ce seul objet ; tous ceux qui ont encore le courage d’écrire recueillent des matériaux pour l’histoire du blocus et de la capitulation. Qu’on pardonne aux Messins ce légitime souci ; qu’on se garde bien surtout de toucher légèrement à un si douloureux sujet, qu’on ne prononce plus du haut de la tribune de paroles imprudentes, qu’on ne cherche pas à atténuer des torts trop réels, à décorer d’épithètes louangeuses des actes sans excuse. A Metz, la conviction est faite dans tous les esprits ; on dit que c’est l’obstination du commandant en chef à rester autour de la place qui a causé la perte de celle-ci, et on le prouve par des documens irréfutables.

Si le maréchal Bazaine avait été un chef prévoyant, s’il avait eu conscience de ses obligations envers une place qui devait, quoi qu’il arrivât, rester indépendante de son armée, son premier devoir eût été de se suffire à lui-même, de ne rien demander aux approvisionnemens de la ville. Il était tenu de nourrir ses soldats aux dépens du pays ou de l’ennemi, sans diminuer d’une gerbe de blé les ressources des habitans. L’intérêt public lui commandait impérieusement de subordonner toutes ses opérations militaires, tout son plan de campagne, à la considération supérieure du salut de la forteresse. Aucun sacrifice, aucun effort ne devait lui coûter pour conserver à la France une position si forte, si ardemment convoitée par la Prusse. Lui seul, il est vrai, restait juge du moment où il serait opportun de s’éloigner de la place ; mais il ne lui était permis