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ils n’auraient plus droit quinze jours plus tard ? Le raisonnement était trop simple pour ne pas s’imposer à l’esprit de nos adversaires. Leur habileté se borna donc à traîner les choses en longueur. Le général Boyer, qui avait demandé un sauf-conduit pour le 11, ne le reçut que le 12, ne put rentrer dans Metz que le 17, et ne rapporta aucune proposition acceptable. « Le roi de Prusse, dit le maréchal Bazaine dans son rapport, subordonnait à une question politique les avantages qui seraient accordés à l’armée. » Cette phrase énigmatique veut dire sans doute, comme on le crut alors parmi les soldats, que l’armée ne pourrait sortir de la place sans proclamer auparavant le prince impérial. Est-il bien sûr que le maréchal Bazaine, qui venait d’accueillir si favorablement les projets de M. Régnier, eût repoussé cette condition, s’il n’avait compris que l’armée, déjà inquiète et indignée des rumeurs qui circulaient, ne le suivrait pas dans cette voie, que les habitans de Metz, justement hostiles à toute restauration bonapartiste, accueilleraient avec indignation l’annonce d’un tel compromis ?

Le temps pressait cependant, une sortie paraissait impossible à cette heure suprême avec des hommes épuisés, avec une artillerie et une cavalerie démontées. Ces chefs militaires qui, un mois auparavant, tenaient entre leurs mains le sort d’une grande armée et le salut de la France, en étaient réduits aujourd’hui, au lieu de se battre en soldats, à chercher des avocats et des intermédiaires officieux auprès de la cour de Prusse. C’est à une femme que des hommes de guerre demandaient leur salut ; pour n’avoir pas agi avec vigueur au moment opportun, ils imploraient maintenant l’intervention d’une exilée, d’une souveraine déchus, qui leur donnait cependant l’exemple de ne demander grâce à personne. De toutes les humiliations qui étaient réservées à des hommes de cœur, la moins douloureuse n’eût pas été de faire sortir l’impératrice de la dignité du silence et de la retraite pour la jeter aux pieds du roi de Prusse, de devoir à ses bons offices la délivrance de notre armée. Est-ce là « le chemin du devoir et de l’honneur » où le maréchal Bazaine annonçait à ses soldats, cinq jours auparavant, qu’il les conduirait toujours en marchant à leur tête ?

L’impératrice, que M. Régnier s’obstinait à replacer sur le trône malgré elle, dont le maréchal Bazaine voulait faire, sans qu’elle s’en doutât, l’obligée de son vainqueur et la bienfaitrice d’une armée qui n’eût pu servir sa cause sans déserter celle de la France, eut le bon sens de refuser le rôle qu’on lui offrait, de ne se prêter à aucun compromis politique. Le général Boyer, envoyé auprès d’elle en Angleterre, ne réussit pas mieux que M. Régnier. C’était le dernier espoir du commandant en chef de l’armée du Rhin qui